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A moi seule (en salles depuis le 4 avril) raconte l'histoire de Gaëlle (Agathe Bonitzer), une jeune fille de 18 ans, qui essaie de se reconstruire après avoir été séquestrée huit ans par Vincent, un homme aux motivations mystérieuses (Reda Kateb). On aura vaguement reconnu dans le synopsis du film de Frédéric Viteau les récents faits divers et notamment l'histoire de Natascha Kampusch,  jeune Autrichienne retenue prisonnière de 1998 à 2006, une affaire qui comporte encore de nombreuses zones d'ombre. Le film va au-delà, mais place au coeur de son récit, l'étrange relation entre le kidnappeur et kidnappée.Le pédopsychiatre Stéphane Clerget, spécialiste de l'adolescence (et auteur du récent Réussir à l'école : une question d'amour ? aux éditions Larousse), nous donne son avis sur le fameux Syndrome de Stockholm, et les relations troubles qui peuvent naître entre celui qui séquestre et sa victime.Propos recueillis par Sylvestre Picard.Stéphane, le Syndrome de Stockholm, c'est quoi ?Un symptôme décrit à la suite d'une prise d'otages, à Stockholm, en Suède, en 1973, pendant laquelle les otages ont pris la défense des malfaiteurs. On a ensuite constaté à de nombreuses reprises cette tendance qu'ont les otages à développer une empathie/sympathie pour leurs ravisseurs.Donc, ce n'est pas une légende urbaine.Absolument pas. C'est tout à fait avéré. Ce qu'on dit moins, par contre, mais qui est tout aussi vrai, c'est que cet attachement est réciproque. C'est d'ailleurs ce qui s'est passé avec le kidnapping du baron Empain, qui a échappé à la mort en car ses ravisseurs ont sympathisé avec lui (NDLR :  le film Rapt, de Lucas Belvaux, avec Yvan Attal, raconte cet événement).Comment ça peut arriver ?Ce n'est pas du tout lié à une quelconque attirance pour le mal ou pour les délinquants. Ca s'explique sans doute par la tension émotionnelle extrêmement forte qui se produit dans ces moments-là. A mon avis, il y a également une régression : le ravisseur ayant droit de vie et de mort sur vous, on se retrouve dans la position d'un nouveau-né dont la vie dépend des parents. Cette régression infantile favorise cet attachement aux ravisseurs, qui prennent alors une position parentale. Ce n'est pas forcément lié à l'âge, mais plus on est jeune, plus cet attachement s'exerce. Un jeune enfant va s'attacher plus facilement, plus naturellement, à des adultes qui l'auraient enlevé. Mais cela peut aussi survenir chez des adultes.A moi seule rappelle sous forme de fiction l'histoire de Natascha Kampusch, et développe l'idée que la victime s'est attaché à son ravisseur.L'attachement que Kampusch aurait pu avoir pour son ravisseur est tout à fait normal. Leur relation s'est vraiment prolongée dans la durée. Sa séquestration a duré huit ans, alors que le Syndrome de Stockholm peut se mettre en place pour des enlèvements de quelques jours. La condition est qu'il faut vraiment qu'il y ait de l'angoisse, il faut avoir le sentiment que votre vie est menacée.Ça paraît très romanesque, comme idée.Il faut se mettre à la place des gens qui vont mourir. C'est un traumatisme qui facilite cet attachement, qui est de l'ordre d'un mécanisme de survie. Comme la vie et le destin du kidnappé est entre les mains du ravisseur, le kidnappé essaie de rendre cette idée supportable en s'attachant à lui. C'est une question de vie ou de mort.Et le fait que la kidnappée fasse des avances sexuelles au ravisseur n'est pas un peu surprenant ?Au contraire, ça paraît tout à fait logique et cohérent. Le ravisseur vient occuper une place parentale. Elle a grandi avec lui, et les mécanismes propres à l'adolescence se mettent en place, comme les tentatives de séduction. Elles vont donc s'exercer sur le ravisseur, qui fait office à la fois de père, de mère, de tiers. La jeune fille a un développement normal, et va exercer ses nouveaux charmes envers son seul interlocuteur. Elle a déplacé son Oedipe sur lui, pour parler un peu technique.Le Syndrome de Stockholm est donc quelque chose de normal ?Oui, mais on est au-delà du Syndrome. Elle a grandi avec lui, elle a presque été adoptée par lui. Elle fonctionne avec lui comme un beau-père. Elle se développe avec lui, de façon perverse : elle a été enlevée à 10 ans et a été libérée à 18, et a fait toute la construction affective de son adolescence. Ce n'est pas contradictoire avec le fait qu'elle veuille chercher à s'échapper. Tout adolescent veut échapper à ses parents. Il y a le choc de ces deux idées, le désir de retrouver ses parents d'origine et l'attachement à son ravisseur. C'est très sado-maso. D'ailleurs, ce sont les enfants maltraités par leurs parents qui ont le plus de mal à s'émanciper.Pourquoi ?Parce que la maltraitance détruit l'autonomie, et favorise la dépendance en renforçant ce pouvoir de vie et de mort.Le film évoque aussi la question du retour dans la famille.La joie de retrouver ses parents d'origine est très ambivalente. Il y a la douleur de la séparation avec le ravisseur pour la kidnappée, et du ressentiment envers les vrais parents pour l'avoir abandonnée. Du côté des parents, s'ils sentent que leur fille s'est attachée au ravisseur, ils doivent surtout affronter le fait que leur fille a changé, elle est passée de l'enfance à l'adolescence. Ils ne reconnaissent plus leur enfant. C'est très fréquent : dans mon cabinet, je reçois des parents qui viennent me dire qu'ils ne reconnaissent plus leur enfant dans l'adolescent qu'il est devenu. Pas besoin de se faire séquestrer pour assister à ce changement : les parents en veulent à l'adolescent d'avoir tué l'enfant qu'il était.Bande-annonce de A moi seule :