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Comme dans L’Iceberg (2005), premier opus signé Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy, les mots sont rares, les êtres emplissent l’espace, et chaque situation donne lieu à une scène décalée. Leur humour vient du fond des âges : du cinéma muet, qui voyait Buster Keaton et Harold Lloyd maintenir comme ils le pouvaient l’équilibre envers et contre tout, envers et contre tous ; des films de Jacques Tati aussi, peuplés de sons très présents et d’objets récalcitrants. Clowns mi-tristes mi-gais, les personnages inventés et incarnés par cette Canadienne née en Australie et ce Belge de Thuin sont uniques et universels. Pourtant – et c’est leur beauté et leur force –, rien ne les abat. Ils avancent, contournent, affrontent. Rien ne les détourne de la vie. Ni un suicidaire peu doué, ni une porte de supermarché facétieuse, ni une lourde prothèse en bois, ni une maison en flammes, ni un voleur de croissants. Ce pourrait être sinistre, c’est à mourir de rire. Réplique burlesque aux coups de la vie, à coups de poésie instantanée et de fantaisie absurde... Rumba, mine de rien, dit mille choses sur le couple et l’amour, le courage qu’il y a à se tenir droit quand tout vous plie, vous ploie, vous pile. Ce doux mélange est le fruit d’un travail acharné sur le corps et l’esprit, unique dans le cinéma d’aujourd’hui et qui a la merveilleuse politesse de paraître simple comme bonjour.
Toutes les critiques de Rumba
Les critiques de Première
Les critiques de la Presse
- Le JDDpar Alexis Campion
Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno Romy, tous trois acteurs et auteurs de Rumba esquissent un monde clownesque vraiment cocasse, guidé par le miracle de la danse théâtralisée et fier héritier du muet. En misant leur cinéma sur le langage du corps et sur le jeu, ils nous entrainent dans une Rumba d'une puissante drôlerie.
- Ellepar Helena Villovitch
Avec deux acteurs inconnus, trois bouts de laine et une poignée de trucages minimalistes, une chouette équipe franco-canado-belge signe un petit bijou burlesque et bouleversant. Les bonnes bouilles ahuries de ce couple adorable nous rappellent celles de Shirley et Dino, mais ils usent d'un comique plus subtil.
- Paris Matchpar Christine Haas
Cette histoire d'amour contrarié réunit l'épatant trio de L'iceberg pour un cinéma d'invention pure qui fait appel à toutes sortes d'astuces visuelles. La comédie musicale, le théâtre, les clowns excentriques du cinéma muet inspirent une farce burlesque et sans dialogues. Dans une ambiance à la Deschiens, la réalisation passe par le langage des corps et s'adapte aux qualités physiques des comédiens. Ils signent une oeuvre irrésistible sur la fragilité du bonheur.
- Fluctuat
On avait déjà repéré leur univers particulier dans L'Iceberg. Aujourd'hui Dominique Abel et Fiona Gordon reviennent avec Rumba, un film tout aussi déjanté où le comique dévastateur n'épargne aucune dénonciation. Soit Dom et Fiona, un couple soudé, collé au sens physique du terme, vivant une vie paisible, mécaniquement réglée dans le bonheur simple. Il est professeur de sport, elle est professeur d'anglais. Tous deux officient dans la même école, un lieu intemporel qui n'a pas été atteint par les contingences modernes. Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles et après la classe, Fiona et Dom s'adonnent à leur passion commune : la Rumba. La piste de danse de la vie n'étant pas aussi dégagée que celle d'une salle de bal, bientôt notre couple enchaîne les faux-pas et tombe, tente de se relever, d'abord sans succès. Après un chemin d'épreuves nos héros se retrouveront et, dans un face à face s'émerveilleront du bonheur d'un éternel recommencement. De cette issue heureuse, le spectateur ne doute jamais car ce n'est pas tant cette histoire simple qui séduit dans Rumba que la très riche mise en scène qui est proposée. Les effets de style qu'on avait déjà aimés dans Iceberg, appuient la démonstration : une dénonciation quasi politique d'une société où la poésie n'aurait pas la place qu'elle mérite et surtout ne pourrait exister qu'en s'exilant du monde et de son modernisme. Loin de la grisaille et du consensus mou,Fiona Gordon et Dominique Abel, metteurs en scène et interprètes principaux et Bruno Romy , réalisateur, créent un univers tout en couleurs primaires, franches, irréaliste mais qui fonctionne car chaque objet y est à sa place, muni d'une force d'inertie sur laquelle on pourrait se briser. De même, chacun remplit sa fonction avec une efficacité béate. Le temps, comme le repos, se découpe en heures adéquates et dédiées à certaines tâches. Le cadre est fixe, à juste distance, de celle qui permet au spectateur d'être face à du familier, comme s'il était au théâtre. Cet aspect théâtral du cadre figure également de manière métonymique le monde. En cela Abel, Gordon et Romy diffèrent de Jacques Tati, réalisateur auquel ils sont souvent comparés. Bien qu'on retrouve une certaine filiation, notamment dans la faible utilisation des dialogues, on se souviendra que si Monsieur Hulot ne pouvait pas se faire au monde moderne déshumanisé, triomphant, il parvenait finalement à lui faire la nique. Ici les personnages ont complètement intégré les impératifs sociaux de la modernité. Leur corps est une mécanique souple et musclée qui se plie avec succès aux contraintes, quitte à être un peu ridicule. Même s'ils manquent de s'écraser, tous d'eux suivent le mouvement du ballet bien réglé. Ainsi Dom et Fiona font la classe avec succès, se brossent les dents en rythme et, le week-end, se rendent à leurs compétitions de Rumba d'où ils repartent, à chaque fois, récompensés d'un trophée. Mais face à l'obstacle, imprévu par nature, aucun d'eux ne sait comment réagir. Dans la droite lignée d'aînés comiques venus du Slapstick, ils se brisent les os. Toutefois, contrairement à Buster Keaton ou Charlot , nos deux héros souffrent. Ils se cognent à l'absurdité, malgré et avec douleur, quitte à mettre mal à l'aise le spectateur, d'autant plus alerté. Car c'est bien ce dernier qui remettra en question cette manière de vivre et non les personnages qui, comme bloqués dans une caverne platonicienne, ne se posent pas de questions sur l'existence d'un autre monde possible. Heureux ou malheureux, dans un état binaire un peu infantile, s'ils jouent de prouesses physiques, ils semblent désincarnés, c'est à dire privés de chair vibrante. Leur couple est un face-à-face quasi homozygote qui fonctionne en miroir. Pas étonnant d'ailleurs qu'il soit champion de Rumba. Puéril mais attendrissant, quand il tombe et se voit maltraité par l'histoire, dans un comique qui devient cruel. Si on appréciera de sourire et de souffrir avec eux, on ne tiendra peut-être pas la longueur. En effet, si la jubilation est au rendez-vous dans les premières parties du film, le discours s'épuise malheureusement vers la fin. Reste que le regard de ces cinéastes est suffisamment singulier pour mériter qu'on aille y jeter un oeil.RumbaDe Dominique Abel, Fiona Gordon et Bruno RomyAvec Dominique Abel, Fiona GordonSortie en salles le 10 septembre 2008 Illus. © MK2 Diffusion