- Fluctuat
L'étrangeté fascinante de Requiem for a dream, gardant tout de même, une forme dramatique et humaine, est moindre que celle de O Fantasma.
Car garder forme humaine, c'est précisément ce que le film de Joao Pedro Rodriguez, résolument underground, ne prend pas garde de faire. Et, si ce que nous cherchons parfois dans les salles obscures, peut n'être pas le plaisir des formes, des sons, des dénouements du scénario, si nous ne sommes pas contre le fait d'y trouver aussi, carrément, un mauvais moment à passer, pourvu qu'il y ait l'ivresse de ce qui dérange et nous laisse, sans recours, dans le trouble et le dégoût, alors O Fantasma sera le film de la situation.Sergio (Ricardo Meneses), et Fatima (Beatriz Torcato) sont éboueurs à Lisbonne. On voit leur travail nocturne, leur circulation dans tous les recoins de la ville endormie. A la fin de la nuit les véhicules se retrouvent, pour quelques très belles séquences, dans une gigantesque décharge, un flot d'ordures auquel ils viennent ajouter leur contribution quotidienne. Plus de route ni de ruelles dans ce terrain vague, à peine, peut être quelques sillons, ou terre pleins rudimentaires en attente d'être absorbé par le chaos à perte de vue des déchets amoncelés. Ce qui marque l'espace, ce qui permet aux véhicules de glisser lentement à la surface de cette mer putride qui fait l'effet d'un intestin monstrueusement découvert, ce sont des points et des faisceaux lumineux. Les phares des bennes, et l'éclairage de la décharge elle-même qui constitue, avec quelques puissants lampadaires et deux ou trois pylônes, tout le mobilier urbain possible dans un espace pourtant produit par l'urbain.Si l'histoire tarde à venir, c'est qu'il y en a peu. C'est que l'omniprésence à l'image de l'ordure, du déchet et de tout le champ des références iconiques, symboliques, sociales, qui lui est associé, constitue la part majeure du projet de ce film. L'autre part, celle qui engage peut-être une narration, c'est la recherche effrénée de la jouissance par Sergio. Car cette recherche érotise l'ordure, et c'est bien par les fils, si distendus soient-ils, d'une histoire, et même de l'Histoire, qu'on en vient à comprendre comment l'ordure et la mort pourrissante, peuvent devenir ce fétiche sexuel absolu, jusqu'à quoi elles sont élevées par Joao Pedro Rodrigues. L'histoire donc, puisque histoire, il faut bien qu'il y ait, est celle d'un processus, pour parler comme Gilles Deleuze, de déterritorialisation. Un processus à la fois tragique, horrible, insoutenable et, hilarant, dans la mesure où Sergio glisse pendant le temps du film depuis l'humain jusqu'à l'ordure. Aimanté par sa queue (eh oui !), il quitte le terrain de l'humain dans lequel, en tant que jeune homme, il se situe, et dans lequel, en tant qu'homosexuel vaguement zoophile et parfois tenté par les femmes (en fait une seule femme, sa collègue Fatima), il a du mal à se situer. Ayant du mal et, en demeure de répondre au désir qui le ronge, Sergio va se transformer sous nos yeux ébahis, en étron géant !Rien de très ragoûtant donc, il faut en convenir et, encore une fois, un véritable moment de maltraitance à passer pour le spectateur. Mais, dans cette métamorphose étonnante, tout de même, un tour de force réussi pour le réalisateur, dont nous espérons qu'il va bien.O Fantasma
De Joao Pedro Rodriguez
Avec Ricardo Meneses, Beatriz Torcato, Andre Barbosa
Portugal, 2000, 1h30.