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Jean-Luc Godard ne verra certainement pas Le Redoutable, consacré à son histoire d’amour avec Anne Wiazemsky (qui a écrit Un an après dont la comédie d’Hazanavicius est la libre adaptation) et à sa radicalisation politique à la fin des années 60. Icône absolue, incarnation de la modernité, commentateur rare mais écouté de l’actualité, invisible et omniprésent à la fois, JLG est ailleurs –enfin, principalement en Suisse. On soupçonne qu’au fond le vieux gourou malicieux et iconoclaste serait peut-être amusé de se voir croquer en misanthrope imbuvable qui décide de rebattre les cartes de son cinéma, et donc du cinéma mondial, dans une France prête à basculer dans la révolution. Hargneux, parfois haineux, intello barbant, beauf rigolo, amoureux maladroit d’une jeunette de seize ans sa cadette, Godard par Hazanavicius est un personnage excessif qui se prête avec bonheur à la dérision et au romanesque dont le réalisateur de The Artist aime nourrir son cinéma méta. Dans Le Mépris, Godard, pour sa part, ne questionnait-il pas sa condition d’homme et de cinéaste à l’ombre d’Homère et de Fritz Lang ? Le Redoutable en serait la version potache dans laquelle la figure du pape de la Nouvelle Vague, à l’instar des décors et des costumes, est l’un des éléments du grand détournement opéré par Hazanavicius. Pari osé ? Sacrément osé.
L’homme de la situation
On a glosé, on glosera encore, sur la légitimité d’Hazanavicius à s’emparer de Godard. Il confesse lui-même qu’il n’est pas un inconditionnel du bonhomme ni de son cinéma postérieur à 1967. C’est au contraire un atout à l’heure des biopics autorisés interchangeables. À aucun moment, Hazanavicius n’arrondit les angles (on lui a reproché à Cannes de ne pas rendre son personnage sympathique mais Godard n’a jamais cherché à l’être), préoccupé par son projet esthétique qui consiste à recréer un imaginaire sixties propice au décalage et à la nostalgie –donc à l’émotion. Les couleurs vives (typiques de la « période rose » de JLG qui, avec son chef op’ Raoul Coutard, invente la modernité), les ruptures de ton, le travail sur la bande-son, les citations, les aphorismes… Hazanavicius s’amuse à faire du Godard dans des intérieurs vintage avec la générosité du passeur (le fan service est subtil et ne met personne de côté) et le sérieux de l’artisan. Car ce qui ressort du Redoutable et de sa direction artistique impeccable, mélange d’hommage éclairé à l’inventivité pop du maître et de reconstitution rigoureuse d’une période tumultueuse, c’est l’amour du cinéma et la quête obsessionnelle d’une liberté artistique totale -revendiquée aussi bien par JLG que par MH.L’atout Garrel
De même que The Artist était transcendé par l’interprétation tout feu tout flamme de Jean Dujardin, Le Redoutable doit sa réussite au talent fou de Louis Garrel, impérial en sosie zozotant de Godard qu’il joue très premier degré, sans cette légère distanciation adoptée par le récit. Il est à lui tout seul un film dans le film, le sourire de Mona Lisa, la cerise sur le gâteau : on ne voit que lui sans pour autant oublier le reste. Biberonné à la Nouvelle Vague, Garrel était le choix, pour ne pas dire l’allié, idéal d’Hazanavicius qui ne pouvait pas se contenter d’une réflexion, si drôle soit-elle, sur Godard. L’acteur fétiche de Christophe Honoré est le point d’ancrage de l’histoire, sa boussole « réaliste ». C’est lui qui tire le film vers le sentimentalisme et le drame aux côtés de Stacy Martin, qui, si elle n’a pas le beau rôle en témoin passif de la dégringolade du couple Godard-Wiazemsky, sert à merveille le véritable propos, bouleversant, du Redoutable sur la fin d’un amour.