Première
par Michaël Patin
“L’humour noir vient d’Afrique”, chantait ironiquement Serge Gainsbourg. Pourtant, en dehors des Dieux sont tombés sur la tête (Botswana, 1983) et, peut-être, des Couilles de l’éléphant (Gabon, 2002), on vous met au défi de citer une seule comédie – grinçante ou non – qui ait traversé les frontières de l’Afrique subsaharienne. C’est dire l’effet salvateur produit par I Am Not a Witch, premier long métrage de Rungano Nyoni en forme de fable satirique – une distorsion du réel qui doit autant aux contes de son enfance zambienne qu’à une culture de l’absurde typiquement britannique (elle a grandi et vit au Pays de Galles). C’est l’histoire de Shula (Maggie Mulubwa), petite fille accusée de sorcellerie, qui se retrouve enfermée dans un camp avec ses semblables (toutes des vieilles femmes), sous le contrôle d’un agent du gouvernement. Si elle coupe le ruban blanc attaché à son dos, elle sera changée en chèvre... Devant ses yeux sombres défilent les figures grotesques d’une société désolidarisée, où les femmes servent de boucs – ou plutôt de chèvres –émissaires et où les mystères ancestraux sont instrumentalisés sans scrupule. Les « sorcières » deviennent des attractions pour touristes, l’enfant est sommée d’utiliser ses « pouvoirs » pour désigner les criminels, tandis que la télévision met en scène le rachat des consciences. Malgré quelques scènes appuyées, I Am Not a Witch séduit par son mauvais esprit et son absence de manichéisme, épinglant les lâchetés des puissants aussi bien que celles des pauvres gens. « L’humour noir vient d’Afrique » : une formule ironique que ce film endosse comme une évidence.