Toutes les critiques de Encanto, la fantastique famille Madrigal

Les critiques de Première

  1. Première
    par Pierre Lunn

    Quand le château de Disney est apparu, on a été pris d’une légère appréhension… Ca faisait un petit moment que la magie de l’oncle Walt ne fonctionnait plus tout à fait correctement. Raya, dernier animé sorti du studio, était visuellement impressionnant, mais n’avait pas réussi à dessiner une histoire à la hauteur de ses visions épiques et world. Et ce n’est pas le trailer d’Encanto qui nous avait rassuré : la musique colombienne ne faisait pas rêver et les personnages n’avaient pas grand chose à vendre…

    Le numéro d’ouverture (présentation roborative et endiablée de la famille Madrigal) emporte tout. Les doutes et les réticences. De fait, Encanto est signé par les deux réalisateurs de Zootopie, Jared Bush and Byron Howard — accompagnés par la co-réalisatrice Charise Castro Smith. Et on retrouve intact leur humour, leur sens inné de l’infiniment grand et de l’infiniment petit, ainsi que le soin maniaque qu’ils apportent à la caractérisation des personnages. Encore mieux : la musique (on parle d’une vraie comédie musicale) a été confiée à Lin-Manuel Miranda qui signe une partition subtile, pleine de couleur, d’énergie, de rythmes sud-américains et de clins d’œil parfaits à la pop la plus ravageuse. Bref. Humour, mélodie et aventure : la vie éclabousse la Cacita.

    C’est là que se déroule l’intrigue du film. Une énorme maison magique (qui fait lointainement penser au manoir des X-Men) où vit l’étrange famille Madrigal. Etrange parce que tous ses membres ont un superpouvoir. Luisa est super forte et peut porter une maison avec une seule main ; Isabela, sa sœur, est belle et embellit tout ce qu’elle touche. Pepa, leur tante, contrôle la météo ; Julieta leur mère guérit toutes les maladies avec des mets apétissants. Et puis il y a Mirabel. Mais Mirabel… n’a aucun pouvoir. Et c’est cette absence de pouvoir qui va lancer le film. C’est ce « manque » qui l’oblige à partir à « l’aventure ». Mais à la différence des récents Disney (Vaiana, Raya ou même La Reine des neiges 2…), Mirabel ne va pas partir à l’autre bout du monde pour apprendre à se connaître ; elle va plonger au cœur de la maison, explorer ses recoins les plus sombres, ses arpents et ses couloirs oubliés, ses chambres abandonnées… L’objectif ? Découvrir quel rôle elle joue dans l’histoire des Madrigal, retrouver la trace de son oncle Bruno, mystérieusement disparu, et comprendre pourquoi tout à coup, elle se met à voir des fissures apparaître sur les murs de la Cacita. On suit donc Mirabel, qui nous embarque dans son bric à brac de souvenirs, d’âmes errantes et de pouvoirs bienveillants ; elle traverse un univers au réalisme magique somptueux pour mieux s'échapper et se (re)trouver.

    La force d’Encanto, c’est donc la caractérisation géniale de cette famille, parfaitement croquée et interprétée. Leur fluidité, leur design, la manière dont en un mouvement on comprend un caractère, la façon dont chaque personnage interagit avec l’ensemble du cast… tout cela est exceptionnel et rappelle la suprématie des animateurs Disney (regardez les cheveux des personnages, leurs mouvements, leur volume… c’est stupéfiant). Mais rien ne fonctionnerait sans la musique de Lin-Manuel Miranda. Songez au hiphop de In The Heights mêlé au rythmes latinos et vous aurez une bonne idée de la puissance pop de ces musiques qui n’ont d’égale que les lyrics malins et inspirés. Vous aurez longtemps en tête Sous les apparences et ses rythmes r’n’b irrésistibles, « Ne parlons pas de Bruno » trio dément, le vallenato endiablé de « Colombia mi encanto » ou le déchirant Dos Oruguitas… L’ensemble est une pure merveille.

    Mais il y a surtout, au cœur du film, une belle idée métaphorique. La Cacita, la maison Madrigal qui prend vie, orchestre le bonheur de la famille, peut être vue comme une métaphore du studio Disney. S’il faut toujours respecter et chérir la tradition, vivre replié sur ses acquis ou des règles fixées il y a des décennies peut facilement mener à la ruine ou à la décadence. Le coeur de la maison, ce qui la fait vibrer, ce qui organise la magie, ce ne sont pas ses murs, ses règles ou la faible bougie qui incarne l’esprit du lieu. Non, c’est l’inspiration des gens qui l’habitent, le collectif. Encanto, soixantième film made in Disney, prouve qu’en laissant les meilleurs membres du studio divaguer, en les autorisant à s’amuser avec les valeurs promues par Walt tout en y apportant un peu de modernité et de chaleur, la magie peut encore opérer. La maison Disney est bien vivante et n’a rien à craindre des fissures…