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Derrière l’humour burlesque, le désespoir n’est jamais loin, ce qui nous vaut un record de cinq suicides (et une tentative). On connaissait la face sombre et désespérée du réalisateur, mais elle est atténuée par la conclusion inhabituellement douce et romantique de ce film, son meilleur depuis longtemps. Il clôt une trilogie marquée jusqu’ici par la confusion et une fureur iconoclaste dirigée contre lui-même. Lorsque tout est détruit, un peu de sérénité ne fait pas de mal.
Toutes les critiques de Achille et la Tortue
Les critiques de Première
Les critiques de la Presse
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Mener ainsi une réflexion profonde sur sa carrière et son art semble avoir redonné des ailes à Kitano : humour ravageur, sens aigu du burlesque, limpidité tranchante dans la composition des plans et l’usage de la couleur, aisance dialectique rare entre la surface et la profondeur, capacité à glisser sans heurts de la gravité du sujet à la légèreté de son traitement. Seul un grand cinéaste peut savoir rire et faire rire sur la création comme question de vie et de mort, l’art comme folie et la vie comme suite d’échecs sublimes. Peu importe le résultat – artistique ou commercial –, semble dire Kitano, seuls comptent le trajet, la capacité de consacrer sa vie à la poursuite de ses désirs, de rester en accord avec soi-même.
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Son art du cadrage et son sens du détail visuel étant ici poussés à leur excellence. L'absurde ensuite, moyen d'expression favori de l'auteur qui, une fois encore, joue d'un humour cocasse et à froid, fonctionnant à plein régime dans cet exercice d'autodérision.
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Beau retour de Takeshi Kitano avec ce film drôle et parfois même burlesque qui tourne en dérision mais avec tendresse, l’art contemporain, fait de concepts et de faux semblants. On rit et on est ému devant cet homme qui accepte petit à petit sa condition de raté et un système qui ne veut pas de lui. On peut être heureux sans talent artistique, semblent nous dire Achille et sa tortue, l’essentiel étant de vivre sa passion, d’être toujours dans le désir. Son Machisu naïf et buté nous offre un beau tournesol en ayant la sagesse d’en laisser d’autres au plus illustre des incompris, l’homme à l’oreille coupée d’Auvers-sur-Oise.
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Récit d'un enlisement et d'un malentendu, Achille et la tortue est également une quête d'identité cynique, ironique, entêtée, absurde, tapissée de morts, éternellement suicidaire et solitaire où l'art est l'arme du crime. Un film aussi, en poussant un peu les meubles, qui dans son dessein dit quelque chose du Japon d'après guerre : toujours arrivant après, subissant l'influence de l'occident qu'il copie en négligeant parfois son identité, le Japon s'est égaré dans le recyclage vide d'un territoire étranger. Kitano réactionnaire ? Oui, il l'a toujours été, et sa grande affection mélancolique pour l'époque de son enfance en témoigne. Il faut lire ses « mémoires », La vie en gris et rose pour mieux le comprendre. Bien sûr, avant d'être une nouvelle vision désenchantée d'un Japon déclinant, Achille et la tortue évoque d'abord son auteur. Celui qui n'a cessé de se remettre en question, de renverser tout ce qu'il a installé, quitte à ne plus être pris au sérieux par la critique lorsqu'il mettait en boîte Zatoichi, film cadeau pourtant sublime où tout se termine en dansant dans un éclat de joie à son image. Avec cette dernière œuvre, drôle, grave, amère sur un artiste cherchant sa place dans l'univers, Kitano est lucide. Il se repositionne, encore, et avec lui renvoie l'hypocrisie d'un monde rêvant d'une démocratie artistique impossible.
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Kitano reprend le paradoxe de Zénon d’Elée et signe, entre pur burlesque et contemplation mélancolique, un film métaphorique sur sa condition de cinéaste. On y parle de frustration, d’impuissance et de conformisme. Emouvant, absurde et magnifiquement cadré, "Achille et la tortue" sonne le retour en forme du réalisateur d’« Hana-Bi ». Il y souffle comme un parfum de Tati.
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«Achille et la tortue» est une grande, une immense réflexion sur la nature de l'art moderne.
Les non cinéphiles vont y trouver des territoires de comédie étonnants et dépaysants. Les autres vont s'apercevoir que Takeshi Kitano, réalisateur japonais culte, n'a jamais été aussi inspiré. Le final vaut toute l'histoire du burlesque - un mot si décrié et pourtant, ici, tellement irrésistible. Faites le voyage, vous ne le regretterez pas. -
La saveur de cette comédie, fable sur l'arbitraire, l'injustice et la vanité de toute gloire, repose sur une invention : le gag artistique. Le ton reste léger et irrévérencieux, mais un déplacement est à l'oeuvre par rapport aux deux films précédents, vers une forme plus fluide, moins foutraque, dont on peut imaginer qu'elle réconciliera Kitano avec un public qui a eu du mal à suivre son virage iconoclaste. Sans jamais verser dans l'outrance, l'art de la comédie qui se déploie ici repose sur un dialogue subtil entre des jeux de formes et de couleurs, un sens des situations et une économie narrative parfaitement maîtrisée. Sa réussite est le signe que son auteur est au mieux de sa forme.
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Toujours omniprésente, la mécanique de la lose s'emballe, le peintre Kitano tente tout et n'importe quoi, mi-survolté mi désespéré : les pastiches défilent à vitesse supersonique, les tableaux s'empilent, certains anodins et pathétiques, la plupart absolument jubilatoires. Et le film, entièrement soumis à sa logique compulsive, se tend comme un thriller suspendu à l'énergie délirante de son personnage, guettant le succès comme un pécheur au gros. Filmer en survivant, toucher le fond pour mieux rebondir : pas encore remède miracle, Achille et la tortue possède tout de même de sacrées vertus. Allez, on franchit le pas : on tient là le meilleur Kitano depuis Aniki, mon frère.
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Avec un sens du grotesque lent (on se croirait, par moments, chez Blake Edwards), Kitano filme un dingue. Doux, mais obstiné. Touchant. Prêt à tout pour devenir le peintre génial qu'il veut être. Les « spécialistes » le disent peu doué pour le figuratif ? Il se lance dans l'abstrait. Ça ne marche toujours pas ? Avec sa femme - qu'il a entraînée dans ses divagations -, il invente des procédés abracadabrants, des machines (presque) infernales pour connaître le succès. Sans succès (...)
On aurait tous du talent. A cette démagogie, très en vogue actuellement, Kitano oppose un démenti ferme et narquois : le génie, comme le bon sens d'ailleurs, ne court pas les rues. Mais tant pis, après tout : mise à part la fille du couple, qui en a carrément marre de ses barjots de parents (et on la comprend !), ça gêne qui si des cinglés peu doués se raccrochent à leurs rêves pour mieux s'y perdre ?