Black Mirror Annabel Jones Charlie Brooker
Abaca

Rencontre à Séries Mania avec le créateur de la série d'anticipation et la productrice Annabel Jones.

En plus de leur masterclass à Série Mania, Charlie Brooker et Annabel Jones, respectivement créateur et productrice de Black Mirror, ont répondu en table ronde aux questions des journalistes. Première y était.

Black Mirror n'est plus tout à fait la série punk des débuts depuis qu'elle est diffusée sur Netflix. Qu'est-ce qui a changé dans votre façon d'écrire ?
Charlie Brooker : Ce serait hypocrite de ma part de dire que rien n'a changé. Comme on devait faire plus d'épisodes, ça nous obligeait à une certaine variété. Si chaque épisode était nihiliste et déprimant, la série serait devenue prévisible et chiante. Mais je ne crois pas qu'on soit moins punk, c'est le contraire. Quand on a signé avec Netflix, certains ont pensé qu'on allait devenir une banale série à l'américaine. Et je me suis dit : « Allez vous faire foutre ». En réaction, j'ai écrit San Junipero. La Californie, des bagnoles de sport et la putain de plage, ça vous va les gars ? Je croyais que faire un épisode optimiste allait foutre les gens en rogne, que les fans de Black Mirror allaient trouver ça à gerber. Une partie l'a reçu comme ça, mais c'est pourtant un de nos épisodes les plus populaires.

Annabel Jones : Vous avez vu Metalhead ? Ca c'est un épisode punk. Noir et blanc, 41 minutes...

CB : Super punk de parler de la durée de l'épisode.

AJ : Oh, ta gueule ! Tout ça pour dire que c'était une vraie expérience. Un truc très simple, épuré. En théorie, pas franchement ce qu'il faudrait faire pour plaire au monde entier. Autre exemple : Bandersnatch  est le premier film interactif au monde sur une plate-forme de streaming. L'histoire se déroule 1984, dans une partie de Londres pas du tout glamour, avec un jeune garçon qui sort à peine de chez lui et vit avec son père. Encore une fois, ça n'a rien d'un blockbuster.

CB : T'as raison, on est complètement débiles. On aurait dû faire un espèce de James Bond avec plein d'action.

AJ : Ce que je veux dire, c'est qu'on ne peut faire que des histoires qui nous intéressent, qui nous excitent et qui nous semblent pertinentes. Si tu commences à imaginer les épisodes pour le grand public, tu es foutu.

CB : Quand on prépare une nouvelle saison, on la pense un peu comme un album de musique. Et on se dit littéralement à chaque fois : « Bon, c'est quoi notre tube punk cette fois ? »

Le côté sombre et déprimant de la série, c'est un reflet de la façon dont vous vous sentez ?
CB : Je trouve qu'il y a quelque chose de rassurant dans les choses les plus sombres. Je suis incapable d'expliquer pourquoi. Je me souviens avoir vu The Wicker Man enfant et prendre du plaisir parce que c'était horrible. Je trouve ça amusant et divertissant. Mais il y a plus d'humour noir dans la série qu'on ne pourrait le croire, sauf qu'on ne le met pas forcément en avant. Même dans l'un de nos épisodes les plus sombres, Crocodile - qui a d'ailleurs pas mal divisé -, la fin est une blague ! C'est un gag (spoiler : l'héroïne se fait arrêter pour meurtre à cause d'un hamster). Je pensais à des choses comme Fargo en l'écrivant : c'est une longue et horrible vanne avec une punchline cruelle.

AJ : Je ne pense pas que tous les épisodes soient déprimants. Prenez Be Right Back, qui parle de l'incapacité à faire son deuil dans le monde numérique. C'est une love story très douce, très tendre. Est-ce déprimant ou juste un sujet intéressant ? Il y a quelques années, l'héroïne aurait sûrement regardé sans arrêt des photos de son ex décédé, alors qu'aujourd'hui on peut se punir d'une façon bien plus extrême.

Vous avez expliqué qu'il avait été compliqué de travailler sur Bandersnatch. Le résultat vous plaît ?
CB : L'épisode est expérimental et bizarre, très différent de tout ce qu'on a fait avant sur Black Mirror. On pensait que beaucoup de gens n'allaient pas aimer et surtout on ne savait pas quelle serait leur expérience : dans quel sens allaient-ils voir les scènes, quels embranchements allaient-ils prendre ? Je suis très fier du résultat et je crois que la plupart des gens ont suivi le chemin qu'on imaginait. Je me souviens que la première fois que Netflix nous a montré la technologie, on a souri poliment mais on pensait : « Pas moyen qu'on fasse ça ». C'était horrible, épuisant psychologiquement. J'ai dû apprendre Twine, un langage qui permet d'écrire de la fiction interactive. Quelle galère pour garder une histoire cohérente... Et puis vers la fin, on a commencé à avoir des idées pour d'autres épisodes. Comme si on avait oublié à quel point c'était dur.

Les épisodes de Black Mirror du pire au meilleur