Guide du 6 novembre 2019
Pathé-Orange Studio / Rezo Films / Wild Bunch Distribution

Ce qu’il faut voir cette semaine.

L’ÉVENEMENT

J’AI PERDU MON CORPS ★★★★★
De Jérémy Clapin

L’essentiel
Célébré à Cannes et à Annecy, ce premier long métrage révèle un prodige de l’animation en la personne de Jérémy Clapin.

En voyant J’ai perdu mon corps, on a la certitude d’assister, pour des raisons sur lesquelles nous reviendrons, à la naissance d’un grand cinéaste. Comme il s’agit d’un film d’animation, on ne peut s’empêcher d’instinctivement faire le rapprochement avec Les Triplettes de Belleville, qui avait, en son temps (2003), projeté Sylvain Chomet dans la lumière et sidéré les spectateurs. Il n’y a cependant pas plus opposés que Sylvain Chomet et Jérémy Clapin. Le premier est un caricaturiste classique, mordu de Tati, dont les films fonctionnent sur la nostalgie d’un âge d’or révolu, saupoudré d’absurde. Le second navigue entre les styles (il faut voir ses trois courts métrages, graphiquement dissemblables) en s’inscrivant dans une certaine modernité mais en cultivant toutefois, lui aussi, un goût pour les ambiances poétiques et surréalistes.
Christophe Narbonne

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PREMIÈRE A ADORÉ

LA BELLE ÉPOQUE ★★★★☆
De Nicolas Bedos

Sa montée en puissance va naturellement énerver ceux qui sont allergiques. Parce que, oui, Nicolas Bedos divise. Plus que ça, c’est le genre de type clivant. Mais côté cinéma, il faut bien se faire une raison : il fait désormais partie de la famille des plébiscités. Premier long, Monsieur & Madame Adelman. Nomination au César du premier film. Deuxième long, La Belle Époque. Sélection hors compétition au Festival de Cannes, dans la même case que Le Grand Bain l’an passé, celle de « la grande comédie populaire française ». La Belle Époque connaîtra-t-il le même destin que le film de Gilles Lellouche ? Impossible de le dire aujourd’hui. Mais une chose est sûre : cette oeuvre romanesque, à la fois personnelle (l’ombre de son père plane sur le personnage central interprété par Auteuil) et totalement universelle avait sa place sur la Croisette.
Thierry Cheze

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BLACK JOURNAL ★★★★☆
De Mauro Bolognini

Un an après avoir été une étrange concierge pour Roman Polanski (Le Locataire) et un peu avant d’être Gladys Presley pour John Carpenter et son biopic sur le King, Le Roman d’Elvis, l’ex-étoile de Hollywood Shelley Winters s’est retrouvée coincée à Rome par la caméra de Mauro Bolognini pour son Black Journal, inédit jusqu’ici dans les salles françaises. Winters joue ici une célèbre meurtrière italienne, Leonarda Cianciulli, qui sévit à coups de hache entre 1939 et 1940. Avec le sang et les os de ses victimes, « Léa » fabriqua du savon et des biscuits très appréciés de ses copines auxquels plusieurs allaient, sans le savoir, servir à leur tour de matière première. C’est cet esprit dérangé qu’incarne une Shelley Winters de 57 ans, grimée en vieille rombière peu avenante. On reconnaît entre mille ce regard triste et désespéré qui porte en lui une terrible fatalité, des yeux inquiets déjà vus et admirés dans La Nuit du chasseur ou Lolita. Le film de Bolognini, chantre d’un cinéma italien volontiers retors et ambigu (Le Bel Antonio, La Grande Bourgeoise...), joue à fond la carte du décalage avec un film peuplé d’hommes travestis (dont un campé par Max von Sydow dans un double rôle ahurissant !) qu’on croirait tout droit sortis du cinéma de Fassbinder. La mise en scène étouffée rend, dès les premières images, l’atmosphère malfaisante. C’est que la cruauté du geste de Léa se confond ici avec un monde décadent, fiévreux, surchargé et définitivement brouillé. L’Italie de la fin des années 30 est bien sûr celle du fascisme triomphant.
Thomas Baurez

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PREMIÈRE A AIMÉ

PLACE DES VICTOIRES ★★★☆☆
De Yoann Guillouzouic

Un buddy movie sur fond d’histoire d’amitié improbable entre un quadra au RSA en instance de divorce et un gamin rom qui a tenté de lui voler le peu qu’il possède. Sur le papier, ce premier long peut faire craindre des débordements lacrymaux. Mais les apparences se révèlent trompeuses. Car Yoann Guillouzouic ne cherche jamais à tordre le bras aux spectateurs. Parce que ses personnages ne sont pas aimables. Parce que sa direction d’acteurs (De Tonquédec en tête, remarquable loin de son emploi habituel) est tenue. Et parce qu’il raconte deux détresses de nos temps modernes en embrassant la complexité de la situation tout en cherchant la lumière et la malice au bout du chemin. Il y a du Une époque formidable dans ce Place des Victoires. Et pas seulement parce que ces deux films partagent un acteur : Richard Bohringer, qu’on est heureux de revoir en bougon au grand coeur.
Thierry Cheze

L’AUDITION
★★★☆☆
D’ Ina Weisse

Le génie ou plus précisément le sentiment de se retrouver face à un génie qu’on semble à voir peut être une source dangereuse d’aveuglement. Anna, prof de violon au Conservatoire va l’expérimenter à son corps défendant en imposant l’admission d’un élève que ses collègues trouvent eux trop juste. Le préparer à son examen de fin d’année devient alors sa seule obsession. Pour avoir raison contre tout le monde et surtout apaiser ses propres doutes et tourments intimes. Quitte à rendre jaloux son propre fils, blessé de se voir négligé. L’audition raconte cette bombe à retardement émotionnelle en sachant, derrière son classicisme formel, développer une tension de plus en plus étouffante. Et il le doit pour beaucoup à sa magistrale interprète principale, Nina Hoss, impressionnante dans la manière de dévoiler par petites touches subtiles les contradictions auto- destructrices de son personnage.
Thierry Cheze

LE VOYAGE DANS LA LUNE
★★★☆☆
De Rasmus A. Sivertsen

Le gouvernement norvégien veut conquérir la Lune et demande à un inventeur farfelu de lancer une fusée de bric et de broc vers notre satellite. Les meilleurs amis de l’inventeur, un hérisson peureux et un canard audacieux, partent en mission. Cette nouvelle adaptation en stop motion (après De la neige pour Noël et La Grande Course au fromage, en 2014 et 2016, par la même équipe technique) des oeuvres du Norvégien Kjell Aukrust, au son d’une partition épique de Knut Avenstroup Haugen (connu pour ses bandes originales de jeux vidéo très guerriers comme Age of Conan : Hyborian Adventures) est une très bonne surprise. Son humour, certes un brin scato, déjoue habilement les chauvinismes conquérants. Son animation bricolée regorge de petites trouvailles qui fleurent bon le fait-maison.
Sylvestre Picard

PAVAROTTI
★★★☆☆
De Ron Howard
 

La star des ténors vue par un réalisateur star. Cette affiche inattendue tient toutes ses promesses. Certes, Ron Howard ne révolutionne pas l’art du documentaire. Mais son talent de conteur fait merveille pour narrer Pavarotti sans verser dans l’hagiographie dégoulinante. Ayant eu accès à un flot d’archives inédites passionnantes, il montre évidemment le côté lumineux de celui qu’on surnommait le « Ténor du peuple » pour sa volonté de démocratiser son art dans des shows – sacrilèges pour les puristes – réunissant des stars pop-rock comme Bono. Mais Ron Howard montre aussi les faces noires de l’artiste, la façon dont son divorce pour une femme bien plus jeune a fait vaciller sa statue du commandeur dans la très religieuse Italie. Le fait d’ailleurs que le réalisateur donne la parole aux deux épouses résume son projet : embrasser un artiste et un homme dans sa complexité et ses contradictions. 
Thierry Cheze

UNE COLONIE
★★★☆☆
De Geneviève Dulude-De Celles

Une adolescente de 12 ans en passe de faire le grand saut. Celui qui la conduira de sa campagne natale à la « grande » école et à l’apprentissage de sa vie hors de son cocon, entre la brutalité du regard de certains de ses nouveaux camarades et sa fascination pour le garçon, plus marginal, rejeté précisément par les autres. Une colonie est fait de toutes ces petites choses-là. Sans révolutionner le genre du récit d’apprentissage, mais en trouvant le ton juste et sensible pour raconter ce passage de l’enfance à l’adolescence sans une once de mièvrerie et susciter une empathie de chaque instant avec son héroïne pétrie de contradictions. Et, surtout, le film offre la révélation d’une (déjà) grande comédienne, Émilie Bierre. Il n’y a pas un plan où elle ne soit pas juste, intense, subtile et puissamment cinégénique. Et ça tombe bien puisqu’elle est de tous ou presque.
Thierry Cheze

 

PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIMÉ

ET PUIS NOUS DANSERONS ★★☆☆☆
De Levan Akin

Il y a quelque chose d’assez inattaquable dans ce film découvert à la Quinzaine des réalisateurs dans lequel un jeune danseur géorgien découvre son homosexualité en tombant amoureux de son plus grand rival dans la compagnie où il évolue. Parce que Levan Akin prend la parole avec force pour dénoncer la répression dont sont victimes les homosexuels dans son pays d’origine. Ensuite, parce qu’il le fait avec une connaissance précise de ce pays qui permet non pas d’excuser mais de comprendre en profondeur le pourquoi et le comment de ce rejet violent. Et pourtant, Et puis nous danserons ne convainc pas entièrement. Sans doute parce que son geste (surtout dans la conduite du récit) paraît un peu scolaire, déroule les rebondissements pile au moment où on les attend. À l’exception d’une dernière ligne droite qui brouille fort à propos un peu plus les pistes.
Thierry Cheze

FURIE
★★☆☆☆
D’Olivier Abbou

Territoires, le premier long d’Olivier Abbou, nous avait emballés. En huit ans, le cinéaste n’a rien perdu de sa capacité à créer de l’angoisse par une réalisation tapageuse assumée. Cette fois-ci, il raconte l’histoire d’un couple qui découvre à son retour de vacances que la nounou de leur fils et son mari, à qui ils avaient prêté leur maison, en ont changé toutes les serrures et refusent d’en partir. Débute alors un combat pour récupérer leur bien. D’abord juridique, puis en faisant fi de toute loi autre que celle du talion. Abbou fait monter la sauce avec efficacité, aborde sans trembler les scènes de violence mais montre vite ses limites en termes de psychologie des personnages et de dialogues, avec en toile de fond un rapport à la virilité trop premier degré. Voilà pourquoi Furie n’est jamais aussi efficace que dans le silence et quand la parole est laissée à la caméra.
Thierry Cheze

 

PREMIÈRE N’A PAS AIMÉ

ADULTS IN THE ROOM ★☆☆☆☆
De Costa-Gavras

Les « adultes dans la pièce », ce sont les interlocuteurs que réclamait Christine Lagarde, la patronne du FMI, en 2015, pour « rétablir le dialogue » avec la Grèce, après l’échec d’une réunion de la zone euro. Sous-entendu : les représentants du peuple grec, emmenés par le ministre des Finances Yanis Varoufakis, sont des enfants, incapables de se plier aux règles établies par les institutions européennes. Ce mépris de la gauche et de la démocratie par l’« establishment » est le socle thématique du nouveau Costa-Gavras. De retour au pays natal, celui-ci s’est inspiré du livre de Varoufakis, Conversations entre adultes – Dans les coulisses secrètes de l’Europe, détaillant ses cinq mois passés dans les rangs du gouvernement Syriza, poste d’observation privilégié du cynisme de l’Eurogroupe et des mécanismes souvent ubuesques de la crise. Un matériau complexe que le cinéaste entreprend de raconter de la manière la plus pédagogique possible. Mais ce souci éducatif le conduit à sacrifier la dramaturgie : loin de la « tragédie grecque des temps modernes » promise dans le dossier de presse, Adults in the Room est une succession de conversations théâtrales et étouffantes, saisies dans une photo ingrate, interprétées de façon très inégale. La prestation malicieuse de Christos Loulis en Varoufakis et la BO sirtaki d’Alexandre Desplat sont supposées servir de contrepoint ironique, mais l’austérité forcenée du film donne rétrospectivement au déjà très mou et très terne Capital (le précédent Costa-Gavras sur la finance internationale) des allures de fresque épique.
Frédéric Foubert

VITIS PROHIBITA
★☆☆☆☆
De Stephan Balay

Connaissez-vous le clinton ? Le cépage, pas Bill. Jamais entendu parler ? Normal. Ce cépage américain, importé en France à la fin du XIXe siècle pour sa résistance au phylloxera qui décimait les vignes, a été interdit en 1935. Malgré sa commercialisation impossible, les paysans cévenols (le clinton a majoritairement été implanté sur les versants méridionaux du Massif central) ont continué à produire le vin du même nom pour leur usage personnel. Ce documentaire retrace non seulement une histoire secrète de la viticulture, mais aussi le combat d’hommes et de femmes, français, italiens, autrichiens, déterminés à vendre ce vin écoresponsable. Trop spécifique et technique, d’une platitude formelle insigne, Vitis prohibita ne procure pas beaucoup d’ivresse...
Christophe Narbonne

LE CHAR ET L’OLIVIER, UNE AUTRE HISTOIRE DE LA PALESTINE
☆☆☆☆☆
De Roland Nurier

Le sous-titre de ce documentaire explique d’emblée la démarche de son réalisateur : une autre histoire de la Palestine. Et Roland Nurier entreprend de démontrer que le droit international a causé du tort aux Palestiniens. Il rappelle les combattants et les victimes. Était-il obligé pour autant d’aligner des contre-vérités historiques ? Ses intervenants relèvent quasiment tous de la même mouvance, proche de l’Association France Palestine Solidarité. Dans ce manifeste, il n’y a pas de place pour une autre voix. Ceux qu’il interroge dépeignent quasi systématiquement les Israéliens comme des militaires brutaux et encouragent le boycottage des produits israéliens. On l’aura compris, Le Char et l’Olivier est un documentaire à la démarche très manichéenne alors qu’un sujet aussi complexe aurait mérité une oeuvre plurielle.
Alexia Couteau

 

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