JFK Revisited : Through the Looking Glass
Camelot Productions

Rencontre avec le réalisateur américain, qui présente à Cannes le documentaire JFK Revisited : Through the Looking Glass.

Oliver Stone n’en a pas fini avec l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy : trente ans tout ronds après son JFK avec Kevin Costner, le réalisateur rouvre le dossier dans un documentaire intitulé JFK Revisited, qui entend démontrer, à l’aide des derniers documents déclassifiés, l’existence d’un complot derrière la mort du président américain.

Où étiez-vous quand vous avez appris la mort de JFK ?

J’avais 16 ans, j’étais au pensionnat, et toute l’école a fermé, on a regardé la télé en boucle pendant 2 ou 3 jours. Mais à l’époque, je ne pensais pas du tout à un complot, je ne voyais rien au-delà de la surface, je m’en tenais à ce qu’on me disait. Puis, quelques années plus tard, je suis allé au Vietnam, qui est intrinsèquement lié à l’assassinat de Kennedy… J’ai écrit un livre de souvenirs l’année dernière (A la recherche de la lumière, éditions de l’Observatoire) et j’y parle des grands mensonges qui ont rythmé ma vie. Il y a d’abord eu celui de mes parents : je pensais qu’on était une famille heureuse et tout s’est effondré (à cause de leur divorce – ndlr). Puis il y a eu Kennedy, un autre mensonge. Un énorme mensonge. Ce n’était pas le premier dans l’histoire américaine. Il y en a eu d’autres après : au Vietnam, en Irak… L’Amérique étouffe de ses mensonges. On est des professionnels du mensonge. C’est le Magicien d’Oz ! Du bluff ! C’est pour ça que la vraie question n’est pas « Où étiez-vous quand Kennedy a été assassiné ? » mais « Qui avait intérêt à le tuer ? » Pour quel motif ?

C’est la question que vous posez dans ce documentaire…

Sa politique étrangère énervait beaucoup de monde. La détente avec la Russie, la détente avec Cuba, les changements de politique vis-à-vis de l’Afrique, de l’Amérique Latine… Kennedy devait se battre contre les partisans d’une ligne dure au sein de sa propre administration, au sein de l’armée, au sein de la CIA. Il a dû virer Allen Dulles, parce que celui-ci lui avait menti sur la Baie des Cochons. A l’époque, c’était énorme, ça ne se faisait pas de virer le chef de la CIA ! Le plus important, c’est que Kennedy voulait se désengager du Vietnam après sa potentielle réélection, en 1964… Mais il n’a jamais pu aller jusque-là. Il voulait la paix et ça ne plaisait pas.

A quel moment de votre vie avez-vous commencé à douter de la version officielle sur la mort de JFK ?

En 88-89, quand on m’a donné le livre On the Trail of the Assassins de Jim Garrison (le procureur joué par Kevin Costner dans JFK – ndlr). C’est le premier « officiel » qui a exprimé l’idée que l’assassinat était problématique. Je ne connaissais pas grand-chose de l’affaire jusque-là. J’ai rencontré Jim, d’autres gens qui connaissaient le dossier, et j’ai décidé de faire JFK. Je l’ai envisagé comme un murder mystery, un film de complot. Mon modèle, c’était Z. J’aimais Costa-Gavras depuis l’école de cinéma, depuis que lui et Yves Montand étaient venus nous montrer le film à la New York University.

JFK Oliver Stone
Warner Bros

 

Un gros film de trois heures autour d’une thèse politique controversée… C’est typiquement le genre de film dont on dit que personne ne le financerait aujourd’hui…

Le film a fini par être plus gros que ce que j’imaginais au départ. Et je n’imaginais pas non plus qu’il allait faire autant débat. Les critiques l’ont plutôt aimé, à vrai dire, Roger Ebert a dit : « Je ne sais pas si ce film dit la vérité, mais il est juste dans ce qu’il dit de l’époque, de l’atmosphère et de nos sentiments vis-à-vis de Kennedy. » Le film s’est pourtant fait attaquer par le Washington Post, Newsweek… Les suspects habituels. Le New York Times a été vraiment féroce, ils ont publié au moins douze articles contre le film ! Je me suis retrouvé dans un guêpier. Six mois après la sortie du film, j’étais encore en train de le défendre. Mais c’est une histoire sans fin. C’est depuis cette époque qu’on m’accuse d’être un complotiste.  

Et JFK Revisited est aujourd’hui une sorte de suite documentaire à JFK

Oui, JFK ouvrait la voie. Vous savez que mon film, à l’époque, avait permis l’ouverture d’une troisième enquête, qui a eu lieu entre 1994 et 1998. Des choses intéressantes en étaient sorties, mais les media n’en ont pas parlé, parce qu’il n’y avait rien de suffisamment sensationnel dedans pour eux. L’intérêt de ce nouveau film, aujourd’hui, c’est de pouvoir donner à voir toutes les pièces du puzzle, pour que les gens comprennent. Je veux que les plus jeunes continuent de s’intéresser à cette histoire.

Entre vos Mémoires et ce retour au dossier JFK, on sent chez vous un désir de regarder en arrière, de faire le bilan. Est-ce qu’il y a d’autres œuvres que vous aimeriez revisiter, d’une manière ou d’une autre ?

Non, pas vraiment. J’avais des regrets sur Alexandre, mais je l’ai remonté en 2007, et j’aime beaucoup cette version, la structure est très différente. Le DVD s’est très bien vendu d’ailleurs !

Votre livre s’arrêtait en 1987, au moment du triomphe de Platoon. Il y aura un volume 2 ?

J’aimerais bien. J’ai plein de choses à raconter. Mais le livre ne s’est pas très bien vendu aux Etats-Unis, c’était compliqué à cause du Covid, je n’ai pas pu faire de séances de dédicaces. Je n’ai pas beaucoup apprécié mon éditeur, il faut que j’en trouve un autre. Mais le livre a bien marché en France, en Italie…  

On vous a vu récemment sur Arte dans un documentaire sur Michael Cimino…

Oh, Cimino, vous l’adorez, vous, les Français ! Lui et Marty (Scorsese) et Brian De Palma. (en français) « Brian De Palma, c’est un Dieu ».

Oliver Stone
Aurore Marechal / ABACA

 

Dans ce documentaire, Tarantino liste les cinq plus grands polars des années 80 à ses yeux : Police Fédérale Los Angeles de Friedkin, Le Sixième Sens de Michael Mann, Scarface de De Palma, L’Année du Dragon de Cimino et Huit millions de façons de mourir de Hal Ashby. Il se trouve que trois d’entre eux, les trois derniers, sont écrits pas vous…

Huit millions de façons de mourir dans le top 5 ? Ça me tue, ça ! C’est l’un des pires films de tous les temps ! Bon, Quentin a ses goûts à lui… Le problème de beaucoup de réalisateurs américains, c’est qu’ils s’intéressent au cinéma, mais pas au monde. Moi, ma mère était française, donc je me suis toujours intéressé à ce qui se passait en dehors des Etats-Unis. J’ai beaucoup voyagé, au Vietnam et ailleurs. Je veux connaître le monde, comprendre comment il fonctionne. Mais tant mieux pour eux, ça leur permet de pouvoir bosser dans le système américain. Si tu deviens critique du système américain, c’est plus compliqué d’obtenir ce que tu veux. Snowden a été une torture à financer, on a dû chercher des financements en France et en Allemagne, avant de réussir à intéresser les Américains – et encore, c’était un petit distributeur. Il y a eu beaucoup de contretemps. Mais bon.. J’ai tout de même réussi à faire 20 films et 9 documentaires. (Silence) Huit millions de façon de mourir dans le top 5… Mon Dieu !

Vous détestez vraiment ce film ?

C’est irregardable, je le dis dans mon livre. Je suis allé sur le plateau, c’était hallucinant, ils dépensaient plus de fric pour dîner que j’en avais dépensé pour tourner Salvador ! Le set était immense, le budget complètement explosé, Ashby discutait pendant des heures avec Jeff Bridges, bla bla bla… Et ils étaient en train de faire l’un des pires films du monde ! Sur L’Année du Dragon, j’ai quelques réserves aussi, mais je pense que ma critique est justifiée. La performance de Mickey Rourke est intéressante, mais très en-dessous de ce que fait Pacino dans Scarface. Parce qu’avec L’Année du Dragon, Michael Cimino voulait refaire Scarface en encore plus brutal. C’est d’ailleurs pour ça qu’il a fait appel à moi.

Vous trouvez que les Français en font trop avec Cimino et De Palma ?

Honnêtement, oui. J’aime beaucoup certains films de De Palma, j’y prends beaucoup de plaisir, mais le problème, c’est qu’il ne s’intéresse pas à la réalité. Moi, j’aime quand c’est crédible. J’ai vu dans l’avion 36 Quai des Orfèvres, voilà un excellent thriller ! J’adore Claude Sautet aussi. Un homme, une femme, autour d’une table, en train de dîner, c’est beau, c’est l’essence de la vie !

Il y a un documentaire très émouvant sur Val Kilmer, votre acteur des Doors, qui vient d’être montré à Cannes. Vous l’avez vu ?

Non, pas encore. Je viens de rencontrer les réalisateurs. Val méritait un hommage, c’était un très bon acteur. J’ai aimé travailler avec lui. Enfin, non, pas aimé, mais il était bon dans The Doors.

Ce n’était pas une partie de plaisir ?

Non, pas du tout. Il était très exigeant. Je le respecte, et on a fini par devenir amis. C’est compliqué de faire des films, vous savez. On n’est pas obligé de bien s’entendre avec tout le monde.

JFK Revisited : Through the Looking Glass, d’Oliver Stone. Prochainement.