Shanna Besson

Le réalisateur creuse un peu plus son sillon de cinéaste de l’illusion avec le récit trouble d’un miracle.

Sorti début 2018 au cinéma, L'Apparition sera diffusé ce soir sur Arte, et il est aussi visible gratuitement en replay jusqu'au 16 février. Première vous le conseille.

Depuis À l’origine, formidable film (son quatrième) sur l’imposture et la croyance dans la fiction, Xavier Giannoli s’est réinventé en cinéaste obsédé par les faux-semblants et par une forme de connivence avec le public, complice tacite de ses canulars cinématographiques. Il l’affirme lui-même dans le dossier de presse de L’Apparition : « Pour que j’arrive à écrire un film, il faut que je commence par me dire, “Personne ne va y croire…”. »  Après Marguerite et son portrait sidérant d’une apprentie cantatrice fortunée ne sachant pas chanter, le voici qui met en scène une jeune fille à laquelle la Vierge serait apparue. Foutaises, billevesées, évidemment. C’est la première chose qui vient à l’esprit de Jacques, grand reporter de guerre confronté à la rugosité et au caractère injuste du réel –il vient de perdre son meilleur ami photographe au cours d’une mission. Personne n’y croit, donc, pas même le Vatican qui, dans pareil cas, met en place des commissions d’enquête chargées de faire la lumière (amen) autour de miracles présumés. Réquisitionné pour ses capacités d’investigation, le cartésien Jacques accepte de mener les débats et de farfouiller dans la vie de la mystérieuse Anna, orpheline entrée dans les ordres par a) conviction. b) opportunisme. c) dépit -rayez les mentions inutiles. “Personne ne va y croire.”

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Thriller mystique
Pour la première fois, Giannoli n’établit pas la mystification : il la rend probable, ce qui change tout. Pour cette raison, L’Apparition est filmé comme un thriller, principalement du point de vue du héros dont le spectateur partage les interrogations, et non plus les craintes comme celles qui agitaient Philippe Miller dans À l’origine. Rien, dans les scènes où Anna est seule (ou, parfois, avec un personnage énigmatique de vigile qui lui donne du courrier), ne permet en effet de douter de la véracité de ses déclarations, Giannoli l’entourant volontairement d’un halo de lumière et de mystère. Récit d’un bidonnage ou d’un miracle ? À la limite, peu importe. La résolution importe moins que le chemin qui y mène –ou pas. Thriller, film d’enquête mais aussi double récit initiatique parcouru d’ésotérisme (du Dan Brown naturaliste, mettons), L’Apparition jongle avec les genres et la multiplicité des niveaux de lecture dont l’enchevêtrement procure un fascinant sentiment mêlé d’évidence et de perplexité. A cet égard, le dénouement, a priori limpide, ouvre en creux de nouvelles perspectives qui pourraient pratiquement nourrir un second chapitre.

Cantique des corps
Le premier long métrage de Xavier Giannoli s’appelait Les corps impatients et racontait la déchéance physique et morale d’une jeune cancéreuse. Ce n’est pas un hasard : chacun de ses films est d’abord l’étude d’un corps soumis aux caprices du destin. Celui d’un vieux chanteur de bal ragaillardi par une jeunesse (Quand j’étais chanteur) ; d’un escroc médiocre pris pour un patron flamboyant (À l’origine) ; d’un quidam transparent qu’une médiatisation subite rend visible (Superstar) ; d’une aristocrate digne involontairement transformée en valet de comédie (Marguerite). Dans L’Apparition, Vincent Lindon trimballe sa carcasse épaisse et terrienne dans des décors champêtres porteurs d’infini et de mystère et face à la silhouette fragile et solaire de la prometteuse Galatea Bellugi –découverte dans l’excellent Keeper. Cette fois, plus que le corps, c’est le regard –fatigué- qui est sollicité. Voir ou ne pas voir ? Croire ou ne pas croire ? Pas si simple, nous dit Giannoli qui, sans délaisser son entreprise de mystification-mythification, s’arrime à l’humain pour mieux en faire ressortir la part de lumière.