Les Amants du Texas est exactement le genre de film dans lequel on s’attend à vous voir…Ah ? Expliquez, parce que moi, pour choisir un projet, je me fie surtout à mon intuition, à la façon dont le réalisateur me parle de son histoire. Je n’ai pas du tout conscience de répondre à une formule toute faite.Pas une formule toute faite, mais comme une tendance, une inclination vers des imageries très enracinées dans les traditions US. Ce qu’on appelle l’ « americana »…C’est vrai, oui. Vous savez, les acteurs sont marrants, si on leur demande comment ils choisissent leurs rôles, leurs films, ils font la plupart du temps des réponses très approximatives, qui ne résistent pas à l’examen de leur filmo. Moi, je t’aurais sans doute répondu que j’aime les personnages incompris, qui tentent de faire le bon choix, mais qui doivent lutter avec les circonstances pour y parvenir. Des mecs romantiques, en conflit, pas des gens passifs. Jamais je ne t’aurais dit « mon truc, c’est l’americana, les traditions américaines etc. » Mais voilà, la filmo parle d’elle-même, il se trouve que je fais ces choix-là encore et encore…Oui, L’Assassinat de Jesse James, The Killer Inside Me, Les Amants du Texas, c’est très cohérent dans le genre films influencés par Terrence Malick et Robert Altman.Indéniablement…L’acteur dispose de plusieurs outils, son corps, son visage, sa voix… Chez vous, cette dernière se remarque tout particulièrement. C’est quelque chose que vous avez spécifiquement travaillé ?J’aimerais pouvoir dire que oui. Mais non, c’est juste ma voix. Déjà, quand j’étais petit, les gens me demandaient de quel pays je venais… J’imagine que j’ai une sorte d’accent ou un ton inhabituel, en tout cas c’est très difficile à maîtriser ou à changer. Certains acteurs sont capables de modifier leur corps ou leur voix à volonté, ce n’est pas mon cas. Je fais quelques ajustements mineurs selon les rôles, mais c’est tout. Tout le monde trouve le son de sa propre voix déstabilisant, n’est-ce pas ? Eh bien moi, pareil. Sauf qu’il semblerait que ce soit parce qu’elle est effectivement étrange…Vous avez un rythme très spécifique, qui influe sur la conduite des scènes. Un truc indéfinissable, très très curieux.« Curieux », ahahah, c’est possible. Mais vous savez, même les plus grands acteurs, les plus versatiles, les Sean Penn, les Christian Bale, ceux qui sont à chaque fois différents mais toujours justes, eh bien, ils finissent malgré tout par être eux-mêmes à l’écran. Quelles que puissent être les coiffures bizarres dont ils s’affublent, ou les bosses qu’ils se mettent dans le dos, à la fin, je suis convaincu que c’est ce qu’ils ne peuvent PAS changer qui finit sur l’écran : leur ADN, ce qu’il y a de « curieux » chez eux.Vous avez réalisé I’m Still Here avec Joaquin Phoenix, faux documentaire réfléchissant sur l’aliénation des acteurs. Prévu comme un canular, le film s’avère presque douloureux à regarder, pas fun du tout. Comme une cascade de Andy Kaufman sur la condition d’acteur…Pourtant il vous faisait marrer, Andy Kaufman, non ? Moi, je trouve le film tordant. Vous n’imaginez pas à quel point je me bidonne en le regardant. Mais la plupart des gens ont pensé comme vous. Faut croire que j’ai aussi un sens de l’humour « curieux. » Pour moi, le film fini était moins fou que le choix de Joaquin Phoenix de vivre cette imposture pendant des mois et des mois…Les gens ont été furieux, ils ont eu le sentiment qu’on se payait leur tête. Mais je reste convaincu que la meilleure façon de faire un fake documentary est de faire croire au monde que tout est vrai. Parce qu’ensuite, tu peux filmer le monde, le monde devient ta scène, les gens réagissent « en vrai. » Regardez les « performances » de Joaquin en tant que musicien, là, oui, c’est du vrai performance art à la Andy Kaufman, totalement hors contrôle. L’idée de fond, c’était qu’il y a toujours un écart gigantesque entre ce que le public croit savoir de toi et ce qu’est vraiment ta vie. Finalement, que Joaquin annonce qu’il prend sa retraite et que les journaux écrivent ce bobard, ça ne change rien à son quotidien, puisqu’ils écrivent des trucs faux sur lui de toute manière à longueur de temps…C’est très différent de porter le point de vue du film sur ses épaules, comme dans Gone Baby Gone, ou de le partager comme dans Les Amants du Texas ?Andrew Dominik, le réalisateur de Jesse James a cette expression : il dit que l’acteur doit « jouer pour le coach. » Plutôt que de chercher à comprendre ou à dessiner ton personnage de A à Z, tu dois être prêt à faire des choses que le metteur en scène te demande et qui n’ont aucun sens pour toi. Que ce soit un petit ou un grand rôle ne change rien, un film marche mieux quand il représente la vision d’un seul mec et que tout le monde se met à son service.Même dans un film comme Gerry que vous avez co-écrit ? Non, c’est pareil, ça restait le film de Gus (Van Sant). On faisait une scène de quatre pages de dialogue, et puis il disait « allez, maintenant, la même chose sans parole. » Et on s’exécutait.Le titre original des Amants du Texas est Ain’t Them Bodies Saint. En français, on perd un peu de poésie…Au moins, c’est une description correcte du film. Ce n’est pas comme quand les Japonais avaient titré "Les Evadés" Excitement 1995. Dans notre cas, au moins, on a une idée assez juste du sujet du film… C’est déjà pas mal, croyez moi.Entretien Guillaume BonnetLes Amants du Texas de David Lowery avec Casey Affleck, Rooney Mara et Ben Foster, aujourd'hui dans les salles.
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Casey Affleck : « J'aime les personnages incompris, les mecs romantiques »
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