-
Comme tous les inventeurs de formes, les frères Dardenne sont souvent raillés pour le côté systématique de leur cinéma. La répétition à heure fixe de trophées cannois, aussi méritée soit- elle, n’aide pas. Pour ce Tori et Lokita, où leurs noms n’apparaissaient étonnamment pas dans les cases imposées du palmarès, un Prix de la 75e édition a été ajoutée. Oublions ces inutiles considérations puisque seule subsistera la force exemplaire d’une filmographie dont ce dernier opus constitue un des points saillants. Tori et Lokita raconte le parcours de deux jeunes héros modernes, un garçon et une fille qui s’aiment comme frère et sœur, exilés en Belgique, loin de leur Afrique natale. Leur quotidien est fait de petits boulots, de lenteurs administratives, de pressions constantes… Les Dardenne ont l’habitude de ne jamais laisser souffler des personnages obligés d’évoluer dans des espaces de plus en plus réduits et encombrés. Cette inéluctable claustration rend compte d’un monde sauvage à priori invisible que leur caméra superpuissante, révèle en extra-large. Plus que la réalité représentée dont la part documentaire saute au visage, c’est une forme de transfiguration par le récit qui sidère à chaque fois. Tori et Lokita est ainsi un pur thriller électrisé par un suspense permanent, où les deux protagonistes accrochés l’un à l’autre, se muent en super-héros (qui pourrait supporter le quart de ce qu’ils doivent endurer ?) Les frères Dardenne croient aux vertus d’un art capable de sublimer sans les dénaturer, des êtres disqualifiés par une société qui préfèrent oublier qu’ils existent. Cela mérite en effet tous les prix du monde.