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Bong Joon-ho aime les mélanges et l’impureté. Depuis plus de vingt ans, il fouille les poubelles de son pays pour les emballer dans des films enragés, punks et passionnants. Memories of Murder, entrelaçait le thriller et la chronique rurale en racontant la poursuite d'un tueur en série par une bande de flics de campagne consternants. The Host était un film de monstre qui faisait dans la satire politique, le mélo familial, le tract écolo warrior et la comédie. Mother ? Un drame familial construit comme un mille-feuilles avec une couche de mélo filial, une autre de métaphore sociale et une parabole psychanalytique comme glaçage.
Des genres et des tonalités différentes mais à chaque fois un même schéma. A partir de l’observation de drames humains riquiquis, Bong Joon-ho construit des fictions explosives qui échappent à la norme. Il réinvestit les genres pour mieux les dissoudre, les concasser, et faire surgir à la place un objet grandiose et grotesque, kafkaien et terrifiant, malaxant des ingrédients et des références a priori incompatibles. Après ce tiercé démentiel, Bong avait tenté sa chance en langue anglaise avec Le Transperceneige et Okja deux superproductions internationales où sa puissance de feu se diluait un peu. Parasite apparaît donc d’abord comme un retour aux sources : en Corée et à sa critique dialectique et littérale du « Korean Dream ». Comme Memories of Murder, The Host et Mother Parasite traque les monstres qui prospèrent sur l’amnésie des années de dictature, la corruption et un capitalisme destructeur.
C'est la blague du festival : il ne faut pas dévoiler les ressorts des films qu'on voit. On ne dira donc pas trop de l’intrigue du film qui joue sur de multiples rebondissements et dont, il faut l'avouer, une partie du plaisir repose précisément sur les effets de surprises. Mais posons le décor. Parasite commence à la manière d’Affreux, sales et méchants, par la description d’une tribu prolo. Ki-Taek, sa femme, son fils et sa fille forment une famille unie, mais pauvre. Ils vivent dans un appart en sous-sol qui ressemble à un cloaque. Les poivrots pissent sur leurs fenêtres, leurs chiottes explosent et déversent la flotte des égouts dans le salon... l'enfer. Ils tentent comme ils peuvent de joindre les deux bouts et s’en sortent grâce à des combines minables (plier des boites à pizza pour gagner un peu d’argent). Un jour, un copain de Ki-Woo, le fils, lui propose un job bien payé : faire le prof d’anglais pour une fille de riches. Ki-Woo accepte et active alors un engrenage qui va faire sortir la famille de son trou et la propulser dans un vortex de luxe et de violence folle. En s’invitant chez les riches, Ki-Taek et sa famille vont provoquer le chaos, transformer la rancœur et le sentiment d'injustice en énergie furieuse et vitale. Tout le film s’organise donc autour de ces morpions qui vont renverser l’ordre social. Mais s’agit-il vraiment des parasites du titre ? Bong ne visait-il pas plutôt les privilégiés ? Ou, le titre étant au singulier, ne pensait-il pas plutôt à un invité-surprise de dernière minute ?
Comme dans ses films précédents, Bong s’amuse donc avec les genres, reprenant les codes du home invasion, construisant un simili film de casse (avec recrutement des membres et mise en place d’un plan infaillible) et troussant une farce où les chamailleries de la famille deviennent le ressort de scènes de comédie d'un film qui est au fond aussi drôle qu'inquiétant. Car, malgré l’humour dévastateur du début, Parasite devient vite un film à suspens où la tragédie le dispute à la bouffonnerie : quand le destin s’abat sur cette maison de rêve le film bifurque vers la métaphysique et l’absurde kafkaïen. Tout cela est comme toujours chez le cinéaste, mis en boite avec une maestria furieuse : les lents travellings dans la maison, la photographie glacée et luxuriante, le jeu subtil des acteurs entre agitation et hébétude, l'efficacité cinglante des cadres et la structure quasi théâtrale de la dramaturgie font de ce Parasite une oeuvre jubilatoire en même temps qu'un instrument critique redoutable. Bong Joon-ho décrit un monde (le notre) qui, privé d'idéal politique crédible et de toute vision morale des rapports humains, retourne à la sauvagerie dont il avait cru péniblement s'extirper et s’enferme dans une spirale dont on ne sortira qu’amputé. Le désossage des travers du capitalisme et de la puissance aliénante du fric innerve une épopée aux soubresauts virtuoses. Ca mériterait au moins un prix de la mise en scène, Alejandro. Une Palme, même ?