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Existe-t-on en tant qu’individu au sein d’un groupe ou y est-on fatalement dissous ?, interroge Sophie Letourneur. Ça, c’est pour la partie théorique. En pratique, La Vie au ranch est une comédie inédite avec cent fois plus de répliques cultes que dans n’importe quel film de biture. Et surtout pas un film girly encombré de codes générationnels. Ces filles trash (interprétées par un casting de tueuses) ne sont pas sur Facebook, elles vivent, ont leurs propres codes, parlent de cystite et de mecs en se fracassant la voix avant qu’il ne soit trop tard. L’amitié fusionnelle avant de tracer sa route, chacune de son côté. Pour son premier long métrage, Sophie Letourneur capture quelque chose de très vivant et de très joyeux en train de mourir. Et c’est ce profond sentiment de nostalgie qui, en dernier lieu, nous étreint.
Toutes les critiques de La vie au ranch
Les critiques de Première
Les critiques de la Presse
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Parfois trivial, La Vie au ranch n'est pas trash ou racoleur pour autant. Certes, les filles ont le langage fleuri - comme en vrai - mais c'est un film très pudique finalement, où le sexe, chose rare pour un teen-movie, est totalement relégué hors-champ. Car l'intimité, nécessaire à la constitution de soi, est impossible au Ranch. Dans la colloc, on partage tout dans un espace restreint : quand on largue son copain, on le fait au téléphone, devant ses amis. Quand sa grand-mère agonise à l'hôpital, on préfère le dire en riant, plutôt que de plomber la soirée. De cette proximité rassurante et chaleureuse, mais oppressante à la longue, naît le désir de fuite progressif de Pam : lors de vacances entre copines en Auvergne d'abord, quand le silence et le calme mettent à jour les dissensions du groupe jusqu'ici noyée dans le brouhaha parisien. Rupture de décor, pour un second tableau rêche et inattendu, qui rappelle les teintes douces-amères de Du côté d'Orouët. De retour à Paris, il suffira d'une petite étincelle aux allures de beau blond germanophile, pour que l'ado se fasse la malle vers de nouveaux horizons. S'arracher alors prend tout son sens, toute sa violence, dans cette fugue du Ranch vers la vie.
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L’éternel féminin, ce serait une façon de faire tournoyer le langage et le corps, entre l’intelligence peste (Des filles et des chiens de Sophie Fillières) et l’hystérie (Petites de Noémie Lvovsky). Mais, à la différence de ces dernières, Sophie Letourneur photographie un type très précis, celui de la jeune fille 2010 : citadine, étudiante, bavarde, une allure “bohème-vintagecoquet- négligé (n’en jetez plus)” influencée par le mannequin Alexa Chung ou la chanteuse Coco Sumner. C’est un nouveau type de fille dont le pari est de ne rien dépenser (c’est trop vulgaire), de ne jamais aguicher (c’est trop vulgaire), de jurer quelquefois comme un charretier, et surtout de faire du chic à partir d’un rien. On pourrait appeler ça “l’art de la retape à toute vitesse” : faire d’un bout de chiffon une robe du soir, d’une syllabe attrapée au vol une phrase blagueuse, d’une rebuffade une crise de rire.
Ces retapeuses sont irritantes par leur impatience, leur aisance et leur dégoût de la profondeur. Elles sont finalement impressionnantes par leur héroïsme inavoué : la retape comme moyen de reprendre à son compte les mille et un coups de l’existence. Tiens, de cette baffe, je me ferais bien une jolie écharpe dorée. Car si le film est retors, c’est une ruse qui se révèle généreuse. A la toute fin, deux filles se posent dans un appartement, toutes calmes devant un mur (on est à Berlin…) de valises, installation mi-art contemporain, mi-n’importe quoi frivole. Elles s’interrogent : qu’est-ce que ça veut dire, ce mur retapé ? Cette manière qu’ont les filles de voir des signes partout (des héroïnes de Rivette à la reine des pommes de Valérie Donzelli, jeunes femmes abandonnées à leur angoisse interprétative par les hommes, qui n’ont, eux, rien à déchiffrer) prend ici un tour doux-amer, proche des fins rohmeriennes, lorsque le ridicule permet enfin le vertige de la profondeur. Ce petit pas de côté qui délivre l’éternel féminin de son destin et lui offre la liberté, la cinéaste l’accorde à ses héroïnes. Sautez, les filles. -
Ici, des morceaux de vie d'une bande d'ados parisiens pris dans une frénésie teintée d'insouciance. Sophie Letourneur reste à distance de ses interprètes (tous portés par une bonne énergie), s'immisce dans l'intime sans le violer. Et soudain dans les derniers instants, le décor change, la campagne succède à la ville, le rythme s'apaise, la pression retombe, les lendemains qui déchantent se font jour, la caméra s'échappe sur la pointe des pieds, comme si elle aussi, refusait de devenir adulte. Un coup de coeur !
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La réalisatrice Sophie Letourneur (« Manue Bolonaise ») enchaîne les tranches de vie, utilisant son vécu et celui d’un groupe d’amies, pour peindre une bande de filles ordinaires à un moment charnière de la vie : le temps des copains, qui s’achève dans le silence d’un épilogue provincial. Un instantané très juste, bourré d’énergie et de drôlerie sur un âge rarement filmé.
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De la folie fêtarde à la nostalgie blafarde, on passe un bon bout de chemin aux côtés de comédiennes d'un naturel éblouissant. Ce n'est pas si souvent qu'un film montre cette période de la vie sans snobisme, ni afféterie. La réalisatrice Sophie Letourneur, âgée de 32 ans, parle de filles normales qu'elle rejoint dans leur délire avant de les libérer pour une partie de campagne, qui marque le début de la débandade.
L'originalité de La Vie au ranch est de capter ces petits riens subtils qui transforment les meilleures amies du monde en futures étrangères, l'instant où les parenthèses enchantées de la fin de l'enfance sont balayées par un vent d'indépendance. Il y a de l'amour, de la tendresse et de la cruauté dans ce premier film révélant une cinéaste sensible et mordante. A suivre de près.
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Vif, drôle, léger, construit comme une suite de longues séquences où il ne se passe rien que des conversations téléphoniques, des scènes de concerts, des dîners alcoolisés, La Vie au ranch a l'énergie et l'insouciance de la jeunesse.
La drôlerie vient de la spontanéité des répliques, de la banalité même des situations et de la vérité qui s'en dégage, à la faveur d'un remarquable travail sur le cadre (toujours plein de corps, de cheveux, de désordre), le son (les voix, notamment, qui se détachent dans le vacarme), le montage aussi (géniale manière de rendre totalement informe la géographie du ranch). -
Sophie Letourneur (premier long métrage) vient de réaliser le film de filles le plus étonnant - le plus détonant - depuis l'invention du chick flick (« film pour poulettes »). Plongée en apnée chez les minettes parisiennes, façon Rohmer chez les pétasses 2010, et véritable document sur le vocabulaire des meufs d'aujourd'hui (« Tu fais quoi, là ? Parce que moi, à part rien foutre, j'ai rien à foutre » : version moderne du « Qu'est-ce que je peux faire, j'sais pas quoi faire » d'Anna Karina chez Godard). Tout paraît improvisé, rien ne l'est - avec, en particulier, un travail ciselé sur le son. Puis le ton change, en Auvergne, où la grappe de gonzesses (toutes épatantes, mention spéciale à l'enrouée Sarah-Jane Sauvegrain) s'est mise au vert. Est-ce le calme alentour ? Un silence « relou » se fait entre elles, qui laisse poindre leurs dissonances. Ne plus piailler ensemble, c'est grandir un peu : quitter le ranch, exister hors du groupe. Le film se clôt sur une note plus douce, subtilement mélancolique, celle de l'âge de raison.
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Cette quotidienneté, le film la reconstruit sous une forme hyperréaliste qui l'installe sur un terrain étonnant, entre le film de copines (on rit, on pleure, on braille sur du Julien Clerc) et la percée ethnographique (le film vaut aussi comme document sur une jeunesse parisienne plutôt bien née, élevée du côté de l'Ecole alsacienne). Pour cela, Letourneur a procédé d'une étonnante manière, faussement improvisée, faussement documentaire. Le groupe que le film met en scène est un groupe authentique (déniché dans une boite de nuit parisienne), auquel Letourneur a demandé d'abord d'improviser à partir d'un canevas de scènes inspirées par ses souvenirs. Puis, enregistrant, au son seulement, ces séances d'improvisation, elle en a tiré le scénario du film, rejoué finalement à la virgule près par le groupe. Le dispositif était casse-gueule et fonctionne à merveille parce qu'il permet à Letourneur de saisir quelque chose de la jeunesse en bande depuis une dimension essentiellement musicale, une pure affaire de bruit - le film entier baigne dans une totale cacophonie. Les conversations, les sujets, s'empilent et, se chevauchant, font le portrait sonore de ce groupe dont Letourneur dit qu'elle devait le mettre en scène comme un « gros animal » (lire notre interview). Rares sont les cinéastes qui, chez nous, s'aventurent ainsi à traiter la parole autrement que comme une pente où faire couler leur scénario. Letourneur l'appréhende elle comme un gros bloc de glaise, travaillé avec une finesse qui se laisse facilement deviner sous la brutalité apparente du film. C'est un peu épuisant pour les oreilles, mais surtout c'est, pour un premier film, assez remarquable.
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On jurerait que tout est improvisé, genre «pris sur le vif», or pas du tout : puisant dans ses propres souvenirs, la réalisatrice a tout écrit «très précisément», assure-t-elle, avant de chercher un vrai groupe d’ami(e)s pour interpréter cette étonnante «Vie au ranch». Savoir que les conversations des actrices, si naturellement brouillonnes, sont en réalité le fruit d’un lent et patient travail de retranscription et d’adaptation force l’admiration. Surtout, alors qu’au cinéma, souvent, les bandes de potes et les beuveries se conjuguent au masculin pluriel, cette comédie d’aujourd’hui fait exception. Les garçons doivent se contenter de jouer les satellites autour de filles pas spécialement décoratives, gentilles ou bien élevées. Ça change de l’ordinaire.
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Pour son premier long, la réalisatrice filme la vie à 20 ans, son énergie et ses fêlures, et c’est une belle réussite. Economie de moyens, maîtrise et audace de la forme, son film a la fraîcheur et le punch de l’âge de ses protagonistes.
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Il faut un bon moment d'accoutumance pour se faire à ce gynécée de folles furieuses et rieuses. On finit par s'habituer à leur débit de paroles proportionnel à leur débit de boissons, et l'on s'amuse de ces tranches de videz qui remplissent une jeunesse réussie. "A part rien foutre, je ne sais pas quoi foutre" dit une des protagonistes. Cela résume assez bien cette comédie aussi pétillante qu'épuisante.
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Tout sonne juste et, pourtant, il manque à ce portrait de groupe l'envers du décor. Sophie Letourneur s'attache à ces quelques années étranges, au sortir de l'adolescence, où l'on vogue vers l'âge adulte sans avoir de responsabilités. Les parents sont hors champ, mais on devine que la bande vient d'un milieu aisé. Un film qui provoque l'adhésion. Ou pas, comme elles disent.
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L’effet de réalité, assez saisissant au début avec une fête se finissant au petit matin, perd malheureusement rapidement de son élan à force de répétition de ces scènes d’ivresse et de régression collective qui ne disent pas grand-chose. De ces étudiantes de 23-24 ans, on apprend finalement très peu, sinon qu’elles n’ont pas de soucis matériels, juste quelques angoisses imprécises. Ah si, l’une d’elles va bientôt déménager à Berlin, où elle pense que personne ne bosse et tout le monde s’éclate. Faible enjeu.