Première
par Thierry Chèze
Sa montée en puissance va naturellement énerver ceux qui sont allergiques. Parce que, oui, Nicolas Bedos divise. Plus que ça, c’est le genre de type clivant. Mais côté cinéma, il faut bien se faire une raison : il fait désormais partie de la famille des plébiscités. Premier long, Monsieur & Madame Adelman. Nomination au César du premier film. Deuxième long, La Belle Époque. Sélection hors compétition au Festival de Cannes, dans la même case que Le Grand Bain l’an passé, celle de « la grande comédie populaire française ». La Belle Époque connaîtra-t-il le même destin que le film de Gilles Lellouche ? Impossible de le dire aujourd’hui. Mais une chose est sûre : cette oeuvre romanesque, à la fois personnelle (l’ombre de son père plane sur le personnage central interprété par Auteuil) et totalement universelle avait sa place sur la Croisette. D’abord pour les qualités de conteur de Bedos et sa foi dans les histoires bigger than life. Le personnage principal de La Belle Époque s’appelle Victor. C’est un sexagénaire qui n’a jamais trouvé ses marques dans le nouveau monde, un auteur de BD hier flamboyant, mais aujourd’hui perdu dans les nouvelles technologies et qui semble se rapprocher de la mort sans regret. Son attitude dépressive et défaitiste insupporte sa femme qui semble avoir perdu jusqu’à l’envie de le secouer. Elle ne le hait pas lui, mais le miroir qu’il lui tend. Il a un pied dans la tombe. Elle ne veut pas l’accompagner. Et puis un jour, Antoine, brillant entrepreneur et ami de leur fils, propose à Victor d’expérimenter l’attraction d’un genre nouveau qu’il a imaginée : en mélangeant artifices théâtraux (comédiens, mise en scène...) et reconstitution historique, il propose à ses clients de replonger dans l’époque de leur choix. Un repas à la cour de Louis XVI comme les retrouvailles avec un père disparu. Victor choisira juste de remonter au siècle dernier, le XXe, et de revivre la semaine la plus marquante de sa vie : celle où quarante ans plus tôt, il a rencontré le grand amour.
HIER ET AUJOURD’HUI
La Belle Époque va dès lors, avec une fluidité jamais prise en défaut, jouer avec ces deux époques. Aujourd’hui, où tous les rêves de Victor semblent s’être définitivement évanouis et hier, où tout lui semblait possible. Aujourd’hui, avec la « vraie » femme de Victor qui prend un amant et hier, avec la comédienne qui l’incarne à la perfection et dont Victor va tomber amoureux sans qu’on sache vraiment s’il tombe sous son charme à elle, sous celui du souvenir de cette rencontre... ou les deux à la fois. Et plus Victor va replonger dans ce passé, plus il va revivre au présent. Plus les souvenirs l’envahissent, plus il retrouve l’envie de s’en créer d’autres.
MÉTAMORPHOSE
La Belle Époque parle de nostalgie avec une émotion à fleur de peau mais sans l’once d’un sentimentalisme pleurnichard. D’abord, parce que l’écriture de Bedos est comme ça. Dans ses livres, dans ses chroniques, dans ses pièces comme dans ses films, le principe reste le même : toute caresse est suivie d’une claque. Et surtout, il n’entonne jamais l’air du « c’était mieux avant ». Il convoque le passé pour envisager l’avenir d’un regard neuf. À l’image de la métamorphose de Victor campé par un Daniel Auteuil stupéfiant. On ne l’a pas vu aussi juste, aussi bouleversant, aussi passionné par un rôle, une histoire et l’idée de s’amuser avec ses partenaires depuis les années 90, depuis La Fille sur le pont, Ma saison préférée ou Un coeur en hiver... Comme si lui aussi reprenait goût au jeu au milieu de partenaires au diapason (Guillaume Canet, Doria Tillier, Fanny Ardant, Pierre Arditi, Denis Podalydès...). Ils participent avec superbe au geste cinématographique et romanesque d’une beauté folle proposé par ce film. Pour Nicolas Bedos, la belle époque, c’est maintenant !