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Fondé sur l'évitement des deux personnages principaux, L'assassinat de Jesse James dessine en creux une parabole sur la célébrité et l'enfermement des icônes, s'interrogeant également sur la représentation des mythes. Dans une dernière partie magistrale, le film atteint la beauté des grands John Ford, s'interrogeant sur ce qu'il peut subsister du western, de la fascination pour ses héros et de la grandeur du mythe US lorsque les icônes sont mortes.
Toutes les critiques de L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
Les critiques de Première
Les critiques de la Presse
- Ellepar Françoise Delbecq
Dominik explore le rapport entre les deux hommes, mélange de fascination, de jeu de pouvoir, d'amour et de haine, avec toutes les névroses qu'une telle relation induit. Peu d'action, mais, à chaque fois, beaucoup de violence. Le traitement de l'image, avec ses ralentis, est d'une rare beauté: champs enneigés foulés par des silhouettes noires, personnages vacillants vus à travers d'épaisses vitres dépolies... Exit le western traditionnel, il faut davantage parler de western poétique.
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Il serait faux de dire qu’on ne voit pas passer les 2h30 du film. Mais on ne va pas se plaindre quand chaque image qui surgit est plus belle encore que la précédente, s’imprimant, indélébile, sur la rétine avant de s’évaporer comme un rêve. Effacez les traces laissées dans votre esprit par des westerns surannés pour goûter à l’ineffable plaisir d’un imaginaire contemplatif et torturé. En précipitant Jesse James (apothéotique Brad Pitt) dans la légende, Robert Ford inscrit son nom au panthéon des héros mal-aimés et Andrew Dominic signe une œuvre unique d’un romantisme avoué pour le plus grand bien du style « western ».
- Téléramapar Aurélien Ferenczi
La beauté engourdie de l'image et, aussi, la dilatation du temps dessinent une sorte de fruste paradis perdu. C'est ce parti pris esthétique qui donne au film une ambition, une épaisseur singulières. Et aussi sa distribution : Brad Pitt, c'est-à-dire la star la plus mise en joue par les paparazzi du monde entier, incarnant un mythe vivant, le clin d'oeil est presque trop évident ; on préfère la performance saisissante de Casey Affleck (le frère cadet de Ben), qui sait que l'ambiguïté de Bob Ford ne passe pas par les mots. On scrute sur son beau visage des signes d'intelligence suprême, ou de déséquilibre.
- Le Mondepar Jean-Luc Douin
L'Assassinat de Jesse James... est un western de l'an 2000. Les personnages y évoluent lentement, presque au ralenti, gardant la pose, dans des plans languides, contemplatifs, une atmosphère mortifère. C'est un western lyrique, beau comme un film de Terence Malick, en plus mélancolique, voué au temps dilaté, à l'attente. Un western silencieux sur l'absurde, le trouble, la fascination. Une complainte, rythmée par une voix off. Un poème, un pèlerinage, une poursuite de fantômes.
- Fluctuat
Après J'ai tué Jesse James, le mélo de Samuel Fuller en 1949, retour près de soixante ans plus tard sur la légende vue par son tueur, Robert Ford. Pour sa version, L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, Andrew Dominik filme avec élégance et dans un style néo-classique le lien complexe entre les deux hommes tout en questionnant le rapport à la fiction au début de notre modernité. Un film beau et tragique malgré ses faiblesses.
L'assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford n'a peut-être pas tout pour devenir un futur classique, et pourtant c'est bien du côté du classicisme qu'il se loge, se cherche, sans arriver à y trouver complètement sa place. Pour sa relecture du mythe, Andrew Dominik (Chopper) opère une telle déconstruction avec des moyens d'une si importante sophistication qu'il se loge du côté des néo-classiques, ces films d'aujourd'hui avec le goût d'hier. Mais c'est justement ce qui donne sa valeur au film, cet entre-deux, une volonté de retour vers le classique (un certain goût pour le récit et la légende) depuis les moyens du moderne, une manière de faire tenir les deux même au détriment parfois d'inutiles coquetteries, comme une stylisation un peu forcée, ou surtout une lenteur (le film dure 2h40) excessive et pas toujours justifiée par les circonvolutions de l'histoire. Mais passées ces faiblesses, cette recherche quelquefois démonstrative d'une intensité par le silence ou l'épuisement des dialogues, la beauté intimidante des paysages sublimement éclairés, L'assassinat de Jesse James propose un éclairage inédit, d'une rare intelligence et d'une beauté unique, presque troublante.On connaît la légende de Jesse James, celle d'un ancien sudiste reconverti avec ses frères dans le banditisme et devenu le hors-la-loi le plus populaire d'une époque sonnant la fin de la conquête de l'Ouest. Synchrone avec la démocratisation des médias (la presse, les romans de gare, où sous la plume de journalistes comme John Newman Edwards, son plus grand conteur, il était devenu un mythe vivant pour le peuple rejetant l'autorité de l'état), Jesse James était la première star du cinéma américain, un personnage moderne venu de l'ancien temps. Il incarnait une sorte de caution morale autant qu'un symbole, voire une icône, de liberté. La grande idée du film d'Andrew Dominik, adapté du livre de Ron Hansen, est justement de partir de là, de l'idéalisation, du fantasme, du rêve, de l'idolâtrie. Il part de la fiction moins pour toucher à la vérité contenue dans une hypothétique réalité que pour reprendre la légende par un autre bout, celle de son tueur, Robert Ford, afin de questionner la perception de la réalité à travers la fiction. L'assassinat de Jesse James imagine donc l'histoire des deux hommes, leur rencontre, leur histoire commune et personnelle, leur destin, en passant par l'assassinat de l'un et l'autre. Puisque Robert Ford s'est fait assassiner après être devenu l'homme le plus populaire mais le plus haï d'Amérique.La force du film repose entièrement sur la relation entre les deux hommes, Jesse James (Brad Pitt, prenant et troublant comme jamais) et Robert Ford (Casey Affleck, sidérant, la star du film, on y revient plus bas). Pour Robert, Jesse est un modèle, une star. C'est l'idole de son enfance, son personnage de roman favori qui se matérialise, un rêve qui prend vie. Sans jamais donner toutes les réponses qui l'ont mené jusqu'au meurtre, le film donne des pistes. D'un côté Jesse James, un personnage angoissé, malade, paranoïaque, enfermé dans la peur, le doute, la crainte, la menace et la fuite perpétuelle. Sur ce terrain le film est implacable, tendu, sourd. De l'autre Robert Ford, le dernier d'une fratrie où personne ne le prend au sérieux alors que lui désire quelque chose de plus grand que lui-même. Sensible mais ambivalent, lui aussi est confus, il se projette entièrement dans sa fascination pour son idole tout en tentant de rester lui-même - on touche aux limites du sentimental. Justement, leur rencontre évoque une histoire d'amour et sa trahison. Tout tient là, dans cette tristesse étrange, ces sentiments complexes, paradoxaux, qui émergent de leur relation désaccordée. Celle entre un fan ultime et déçu qui se cherche absolument des points commun avec son modèle (et qui trahi, se condamne à tuer l'objet de son affection), et la star troublée qui soupçonne en l'autre quelqu'un qui pourrait percer sa carapace ou pire lui ressembler. Le film se construit ainsi sur le ressentiment, ce rejet de Jesse James, qui fait tout pour repousser Ford, le décevoir (avec ambiguïté), et ce trouble presque sexué entre les deux hommes que le film tient avec élégance, sans jamais souligner les choses.C'est dans ce récit parallèle et entrecroisé que Dominik puise l'intensité psychologique et dramatique de son film. Il s'intéresse moins à la démystification qu'à un retour du récit, une forme orale, archaïque, une sorte de transmission du passé qui redonnerait une existence plus crédible mais romanesque à Robert Ford, la légende cachée d'une autre légende. Ce beau personnage tragique auquel Casey Affleck donne cette distance complexe, ce sentiment d'une vie qui lui échappe, où il est condamné à tuer celui qu'il voulait être, qu'il aimait, et à errer dans la culpabilité pour avoir voulu voler la célébrité qui lui échappait chez son idole (le final avec lui seul est un torrent d'émotion contrariée). Le jeu d'Affleck, immense, est ici idéal, comme s'il était habité en permanence par deux pensées au même moment tandis que son corps illustre ses contradictions et son décalage avec la réalité. Cette question, de la perception des choses, de l'autre, est le coeur du film jusque dans ses multiples jeux de reflets et de fumées qui évoquent un monde d'image où désormais la réalité s'invente, se produit. C'est le début de notre époque, bientôt le cinéma, où l'illusion cohabitera avec le réel.L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford
De Andrew Dominik
Avec Brad Pitt, Casey Affleck, Sam Shepard
Sortie en salles le 10 octobre 2007
Illus. © Warner Bros. France
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Le JDDpar Stéphanie BelpêcheD'accord, on peut reprocher à ce film sa lenteur, le fait que le récit s'attarde parfois sur des figures secondaires d'intérêt inégal. Mais Andrew Dominik ne voulait pas d'un western traditionnel. Sa mise en scène ne craint pas de plonger le spectateur dans une douce torpeur, soutenue par une photographie hypnotique et une musique tragique.
Télé 7 jourspar Julien BarcilonUn peu longue et austère, cette démythification, centrée sur les rapports ambigus de James et Ford, laissera perplexe les fondus de fusillades, de chevauchées épiques et de duels au soleil. Mais la performance magnétique de Brad pitt, saluée par un prix d'interprétation à la Mostra, mettra tout le monde d'accord.
Paris Matchpar Alain SpiraGalopant sur les traces de Samuel Fuller, le réalisateur néo-zélandais du remarquable Chopper n'a pas du tout choisi la façon hollywoodienne de filmer les cow-boys en Technicolor, avec chevauchées fantastiques et duels au soleil. Aux westerns spaghettis noyés dans leur sauce, il préfère un régime basse calories pour nous servir un drame sombre et réaliste où des héros introvertis font du rodéo à travers leurs névroses.