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Alexeï Guerman, aujourd’hui décédé, a passé presque douze ans à la réalisation de son formidable film. Il avait auparavant attendu des décennies avant de pouvoir adapter ce classique de la science-fiction russe écrit par les frères Strougatski, également auteurs de "Stalker". Il s’agit d’une parabole dénonçant un système générateur de conflits, d’injustice et d’obscurantisme à travers l’observation d’une civilisation ressemblant en tout point à la nôtre, même si son faible degré d’évolution est exagéré pour en illustrer les déficiences. Sur ce point, Guerman réussit de façon spectaculaire à faire vivre un univers trempé par une pluie permanente où les personnages pataugent dans une colique boueuse tout en expulsant des sécrétions corporelles variées. On pense au tumulte de Terry Gilliam, à la sauvagerie de Paul Verhoeven et à la vitalité désespérée de Pasolini, lequel renvoie naturellement à Sade, dont les réflexions politiques, philosophiques et artistiques semblent éclairer Arkanar d’une lumière cruelle. C’est ce qu’on appelle un film immersif au style particulier fait de plans-séquences d’une folle complexité. Perdues dans d’immenses décors, des multitudes de personnages costumés sont suivies par des caméras mobiles, tandis qu’un accessoiriste projette constamment des poules et des débris devant l’objectif. Le chaos règne pour de bon et, sans une lecture préalable du roman (ou au moins de son résumé), on peut avoir des difficultés à comprendre les différentes manoeuvres de Rumata (qui s’avèrent presque toutes vouées à l’échec). On finit pourtant par s’y habituer jusqu’à ne plus voir le temps passer. À ce stade, le sens du film devient limpide et peut se résumer au testament philosophique confié par le héros à un potentiel biographe : "Lorsqu’une société succombe à la paresse intellectuelle, elle attire inévitablement la tyrannie." Le titre, qui indique le point de vue de Rumata, dit à quel point il est difficile de rester patient face à la bêtise. Par extension, c’est également une façon d’affirmer que Dieu est une création de l’homme.
Toutes les critiques de Il est difficile d'être un Dieu
Les critiques de Première
Les critiques de la Presse
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Cette fable foisonnante est si puissante et si riche qu’on ne sait plus où donner des yeux. Le spectateur a l’impression de plonger dans le cerveau du maître. Mouvements de caméra vertigineux, gros plans et scènes délirantes, parfois très gore, font bon ménage dans cet univers de chaos
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Le cinéaste furieux pose donc la question du divin et nous fait redécouvrir l’étendue d’un cinéma engagé et libre, dégagé des artifices synthétiques du cinéma contemporain. Il accouche dans la fange d’un vrai miracle cinématographique !
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Un film-monstre d'une envergure exceptionnelle, aussi halluciné que "Sur le globe d'argent" de Andrzej Zulawski en son temps.
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Le cinéaste nous embarque dans un tourbillon illustrant la petitesse et la grandeur des hommes. De manière physique, charnelle, mais aussi spirituelle... La fameuse âme russe éternelle ? Celle qui embrasse d'un seul tenant les rires et les larmes, le déchet et l'or, l'affront et l'encens, oui, on la sent aussi...
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L'impression d'être tombé dans un tableau de Jérôme Bosch ou un asile de fous à ciel ouvert, dégueulant de fange, de propos décousus, de morve, d'agitation et de pourriture. Les images en noir et blanc sont splendides, la réalisation est virtuose. Et le film, sublimement barbant.
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Un film dont la réalité vous recouvre, vous déborde, vous ensevelit et vous emporte bientôt comme un torrent de boue, dans un seul et gigantesque écoulement.
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Un grand film de mélasse, ou plutôt le traité de sa surcharge comme devenant progressivement un moteur formel. S’installe d’emblée une double saturation : d’un côté une sorte d’étouffement du récit par le récit, de l’autre une stratégie typiquement baroque de remplissage frénétique de l’image.
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Vous ne sortirez pas indemnes d’un tel voyage au bout d’un enfer médiéval aussi poisseux que des caillots de sang. Secoués, malmenés, mais fascinés, vous vous direz, en sortant du cinéma, qu’il est peut-être difficile d’être un dieu, mais qu’il est parfois encore plus difficile d’être un simple spectateur…
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Des baisses d’attention, ou un sens qui peut apparaître hermétique : quelques défauts qui ne font pas oublier au final la force évocatrice de cette œuvre, dans laquelle la maîtrise technique, mégalomane, sert un propos.
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Une œuvre russe en diable, mais à la puissance mille, où le récit proprement dit, avec des tenants et aboutissants, a explosé. On a vaguement l’impression que Rumata tourne en rond dans cette cour des miracles permanente. Cela n’empêche pas d’être pris par la beauté du travail de Guerman, qui a manifestement agi en toute liberté, sans l’ombre d’une concession.
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Rarement sentiment d’asphyxie et d’horreur nasales par assaut de puanteur suggérée à l’image aura été atteint avec une aussi méticuleuse obsession pour le détail révulsif.
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C’est beau, mais obscur. Poétique, mais dingue. Le film est une apocalypse sous amphétamines : aucune progression logique, juste une avalanche d’imprécations, de défis, de tueries, d’averses et d’incendies. Il faut se laisser aller, s’abandonner à ce torrent d’images magnifiques, à cette odyssée de la gadoue.
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Aucun fluide humain – excrément, sang, morve… – ne sera épargné au spectateur, ni aucune blessure ou torture (...) Une séance nécessitera donc un estomac bien accroché. Cette dimension scatologique, si elle n’est pas gratuite finit par apparaître excessive et inutilement écœurante.
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Une expérience de cinéma proprement hallucinante, procurant la sensation, au mieux, d’avoir été télescopé au coeur d’un tableau de Brueghel ; au pire, d’avoir barboté dans la gadoue avec les pensionnaires d’un asile de fou.