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Dans une maison de campagne au sud du Brésil, une famille nombreuse de la grande bourgeoisie se retrouve pour des libations dominicales. C’est le 1er janvier 2003, jour de la prise de fonction du président Lula. Famille et lutte des classes, on connaît la chanson. Comme on imagine l’impact d’un tel film à l’orée de nouvelles élections, dont les enjeux semblent tragiquement inversés. La puissance de Domingo tient dans la manière dont Fellipe Barbosa (Gabriel et la montagne) et sa compagne Clara Linhart tirent profit de leur dispositif spatio-temporel (un jour, un lieu), filmant les rapports de force dans leur complexité cacophonique, n’expliquant rien pour forcer l’œil à trouver son chemin en terrain miné. Cette saturation initiale, dont la vitalité dingue renvoie aux belles heures du cinéma choral à l’italienne (on peut aussi penser à Milou en mai), s’éclaircit au fil des engueulades, des coucheries, des mensonges et des humiliations. Autant de passages obligés que les cinéastes débarrassent de toute pesanteur : leur regard panoptique ne laisse personne sur le bord de la route (une vingtaine de personnages finement exploités) et chahute sans arrêt nos attentes. Les liens entre causes et conséquences ne sont jamais mécaniques, l’éclosion du plaisir et de la colère toujours anfractueuse. Il suffit d’un verre brisé, d’une chanson fredonnée, d’une coupure de courant pour troubler le statu quo et rebattre les cartes. Mieux qu’un précipité de réalisme sociologique, Domingo est un portrait en puzzle de l’âme brésilienne. Un film sur la vie dans sa grisante contradiction.