Première
par Christophe Narbonne
Le film de Lucas Belvaux est moins un portrait de l’appareil du Front National que de son électorat populaire.
La polémique n’avait pas tardé : sitôt la bande-annonce de Chez Nous mise en ligne, le 30 décembre dernier, les cadres du Front National se sont insurgés, Florian Philippot en tête qui, sur la seule foi de ces deux minutes, a jugé « scandaleux qu’on sorte dans les salles un film clairement anti-Front National en pleine campagne présidentielle. » Lucas Belvaux lui a répondu que « Chez Nous n’était pas tant un film anti-FN qu’un film sur le discours populiste et sur comment les gens s’engagent en politique. Ce sont les électeurs qui m’intéressent, pas les partis. » Le réalisateur belge a plutôt bien résumé les enjeux qui sont au cœur de Chez Nous, portrait de la fameuse « France d’en bas » - désignée comme telle un peu cavalièrement par Jean-Pierre Raffarin en 2002- qui est devenue le cœur de cible privilégié du parti d’extrême-droite.
Du choix des candidats
Infirmière à domicile proche de ses patients, mère courage élevant seule ses enfants et s’occupant de son père malade, Pauline est approchée par le docteur Berthier, cadre du RNP, le grand parti d’extrême-droite bien implanté dans le Nord de la France. Il lui propose d’être candidate aux municipales à Hénart, ville sinistrée que convoite Agnès Dorgelle, chef du RNP qui figurera en deuxième position sur la liste menée par Pauline… Tout lien avec Hénin-Beaumont et le ticket Steeve Briois-Marine Le Pen n’est évidemment pas fortuit, à ceci près que Briois était un militant de la première heure alors que le personnage joué par Emilie Dequenne est une anonyme, sans opinion politique tranchée, qui, en raison de son métier, présente l’avantage d’être en prise directe avec la France d’en bas -retraités, chômeurs, commerçants, jeunes en difficultés etc. Belvaux établit un profil type : celui d’une travailleuse sans histoires et sans combats, page blanche sur laquelle les têtes pensantes du RNP (des notables, à l’image du mielleux docteur, formidablement joué par Dussollier) vont pouvoir écrire l’histoire de cette France qu’ils appellent de leurs voeux, blanche, méritante, patriote. La qualité du film est de cerner parfaitement la stratégie de conquête de l’électorat populaire et de normalisation qui a transformé le parti d’extrême-droite en machine à gagner. Belvaux ne juge pas, il constate. Mais ses intentions sont ailleurs.
Du ciblage des électeurs
Avant d’être un brûlot sur le FN (pardon, le RNP) et sur sa patronne gouailleuse (qu’on voit finalement peu et qui est archétypale), Chez nous est donc un film sur ses électeurs qu’incarne en théorie Pauline. Mais les incarne-t-elle vraiment cette jeune femme sage, peu suspecte d’idées racistes, anarchistes ou identitaires ? C’est donc ça l’électorat d’extrême-droite, un troupeau de moutons qui ne pense pas, manipulable à souhait ? Pour contrebalancer cette vision un peu contreproductive (elle l’est, malgré l’amour que Belvaux, il l’a démontré, porte aux gens de peu), le cinéaste belge soigne les seconds rôles. Il y a la meilleure amie, xénophobe enragée dont le fils adolescent tient en secret un blog identitaire, et, surtout l’amour de jeunesse retrouvé, un skin vaguement en rupture de ban qui participe néanmoins à des ratonnades musclées. Incapable de contenir la violence qui est en lui mais en capacité d’aimer, ce personnage de tragédie abandonné par l’appareil illustre in fine, selon Belvaux, la faillite morale fondamentale de l’extrême-droite.