Première
par Frédéric Foubert
L’année dernière, lorsque le British Film Institute a demandé à Jeff Nichols d’établir sa liste des dix meilleurs films de tous les temps, celui-ci s’est débrouillé pour y caser pas moins de quatre longs métrages avec Paul Newman. Rien que ça. Plutôt qu’un délire monomaniaque, il fallait y voir une profession de foi cinéphile qui ne surprendra aucun spectateur de Mud. En choisissant comme protagoniste de son troisième film un hobo charismatique, le cinéaste a en effet offert à Matthew McConaughey le genre de rôle que Newman tenait dans les 60s. Celui d’un antihéros séduisant et mystérieux, d’un type solitaire qui débarque dans un patelin du sud des États-Unis, chamboule la vie de ses habitants et distille des maximes cool d’une voix traînante avant de repartir dans le soleil couchant. La fascination qu’exerce le fi lm est en grande partie due à la performance radieuse de McConaughey, qui n’aura jamais autant mérité son surnom de « bouddha redneck ». Nichols le met en scène avec l’amour d’un fan, à hauteur d’enfant – l’histoire est racontée du point de vue d’un ado aventureux, sorte d’alter ego du cinéaste. Mud, c’est la rencontre entre Tom Sawyer et Luke la main froide. Un récit initiatique qui aspire à tutoyer les mythes fondateurs de l’Amérique (l’opposition entre la liberté et la loi, l’irruption de la violence dans une nature édénique…) en charriant dans son sillage tout un pan de la culture « Southern Gothic », cette tradition qui va de Mark Twain à Faulkner, de La Nuit du chasseur à La Balade sauvage. Au lieu d’écraser le réalisateur, ces influences lui permettent d’« aérer » son cinéma, de sortir du système claustrophobe mis en place dans Shotgun Stories et Take Shelter. Il y a ici plus de personnages, plus d’intrigues secondaires, plus d’ambition thématique que dans ses deux précédents films, comme si Nichols avait choisi de troquer la forme de la fable contre celle du roman. D’ailleurs, cette ambition nouvelle menace parfois de lui faire perdre le cap : Mud est un peu trop long, pas suffisamment « tenu » ni resserré pour être aussi parfait que dans nos rêves les plus fous. Mais ce qui frappe surtout, c’est l’aisance avec laquelle le cinéaste s’empare de mythologies séculaires et parvient à redonner une puissance émotionnelle renversante à des clichés vieux comme le (nouveau) monde. Pour son quatrième long métrage, il dit réfléchir à « un film de genre à la John Carpenter, quelque chose dans la veine de Starman ». Cet homme a décidément très bon goût.