Will Eisner était l'incarnation du rêve américain : fils d'immigrant juifs, il grandit dans le quartier de Brooklyn qui sera le décor de nombre de ses bédés. Après le lycée, il devient illustrateur pour la publicité mais il quittera vite son job pour se lancer dans la bédé.Il fait partie de la toute première génération d'auteurs de comic books mais il est certainement le tout premier à croire au potentiel artistique des comics. Il lui faudra attendre plusieurs années avant de pouvoir tenter de prouver qu'il a raison.En attendant, Eisner est aussi un fin businessman et il fonde le premier studio de comics avec Jerry Iger pour lequel il crée des personnages comme Sheena, Reine de la Jungle ou Blackhawk.Le studio Iger & Eisner voit passer toute la future génération des grands du comic book. Mais alors qu'il gagne déjà bien sa vie, à 22 ans Eisner abandonne son studio pour créer un supplément « comic book » pour les journaux du dimanche. C'est là qu'il créera le Spirit, son personnage le plus célèbre et le plus populaire. Spirit PagesLes "Spirit Pages" comme on appellera bientôt le supplément hebdomadaire, sont l'occasion pour Eisner de s'adresser enfin à un public adulte. Il a à coeur de produire chaque semaine la meilleure bédé possible et c'est ce qu'il fera de 1940 à 1952 (sauf entre 1942 et 1945 où il sera enrôlé dans l'armée et produira des bédé et des illustrations éducatives pour les soldats américains).Produites en studio avec notamment Lou Fine, Jules Feiffer et le lettreur Abe Kanegson, les pages du Spirit sont toujours impeccablement dessinées, écrites et lettrées, et pleines d'idées nouvelles qui établissent bon nombre de conventions encore en usage dans les comics d'aujourd'hui.Pas vraiment un polar, le Spirit est surtout un prétexte qui permet à Eisner de raconter les histoires qu'il veut. Qu'elles soient humoristiques, tragiques ou haletantes, ce sont très souvent les histoires des quartiers pauvres de New York et de ceux qui y vivent et survivent. Eisner affirme dans ses pages une vision humaniste et généreuse loin de la violence et des slogans comme « le crime ne paie pas » du polar de l'époque.Après la fin du Spirit en 1952, Eisner abandonne presque complètement la bédé. En 1948 il avait crée l'American Visuals Corporation, une entreprise qui produisait des magazines illustrés pour l'armée (avec quelques bédés) et des illustrations publicitaires. Les journaux subissent la concurrence de la télévision et les Spirit Pages sont un luxe qu'ils ne peuvent plus se permettre. Un pacte avec dieuA la fin des années 1970, Eisner croit la bande dessinée loin derrière lui quand on l'invite à participer à une des premières convention de fans du genre. Malgré ses réticences, il finit par s'y rendre et découvre que les choses ont bien changé depuis son époque : il y existe désormais un tas de comics underground et alternatifs pour les adultes, ainsi qu'un large public de fans intéressés par la bande dessinée elle- même plutôt que par "juste Superman/Batman/Spiderman".Pour ces fans qui ont lu les réimpressions du Spirit, Eisner est une légende vivante. Les comics qu'il voit ne sont peut-être pas à son goût (Eisner est trop vieux pour avoir été hippie) mais sait apprécier la nouvelle donne : il réalise que le temps est peut-être enfin venu pour lui de produire un comic book lettré et ambitieux comme il en a toujours rêvé.Il prend son téléphone et appelle un ami éditeur. Pas un éditeur de comics mais un véritable éditeur de livres sérieux et généralement sans image. Il sait que le pitch va être difficile aussi lui propose-t-il un "graphic novel" ou roman graphique. Le terme gagnera de là sa popularité.Publié en 1978, Un pacte avec Dieu rassemblera quatre histoires d'immigrants new-yorkais comme il en a connu dans sa jeunesse. L'oeuvre mêle une fresque sociale à une tragédie inspiré par la mort de sa fille dans les années 1970 (fait longtemps passé sous silence qu'il ne révèlera que dans ses derniers jours). Le succès critique est au rendez vous et le "graphic novel" deviendra l'objet d'un culte pour beaucoup de jeunes auteurs à qui il montre la voie. Depuis ce premiers succès et jusqu'à sa mort Eisner continuera à produire des Graphic Novels avec la régularité (et le rythme annuel) d'un Woody Allen.En vérité on en fait peut-être un peu trop des valeurs littéraires d'Un pacte avec Dieu et de celles de ses successeurs. Eisner était un créateur bon et généreux, un génie du langage des comics qui a joué un rôle majeur. Cependant, l'importance historique de son travail sur les comics fait souvent oublier sa superficialité et son manque d'originalité, qui apparaissent lorsque l'on considère son oeuvre dans un contexte plus large.Mais avoir révolutionné la bande dessinée, bien, sûr, c'est déjà pas mal.
Genre | Homme |
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