Trois ans après des épisodes marqués par le Covid, la série hospitalière de Thomas Lilti revient pour une saison placée sous le sceau de l’insoumission. Car, malgré le recul nécessaire, Hippocrate montre des soignants livrant le combat de la dernière chance.
On se souvient combien le tournage de la saison 2 d’Hippocrate, entamé début 2020, avait pris de plein fouet la réalité de la situation sanitaire. Quelques semaines après les premières prises de vues, le Covid avait poussé Thomas Lilti, ancien médecin, à reprendre la blouse et a réécrire les derniers épisodes, en sachant raison garder et avec une acuité impossible à prendre en défaut. Sa diffusion, survenue en avril 2021, alors que la France affrontait un nouveau confinement, avait aboli les frontières entre la vie et la fiction.
Cette saison 3 (dont le tournage a commencé au printemps 2023) est cette fois-ci enveloppée d’une froide constatation qui ne surprendra personne. La situation de l’hôpital public n’est pas reluisante, et c’est un euphémisme. Les personnages d’Hippocrate, reflets précis des personnels soignants, restent éreintés par la crise sanitaire et les moyens se font attendre... Thomas Lilti, pratiquement seul à l’écriture pour la première fois, enfonce le clou en attaquant le sujet par un autre versant.
Tout commence par la fermeture des services d’urgences en période estivale, par manque de ressources. C’est ce qui va amener les héros des premières saisons, que les épreuves ont dispersés, à refaire corps pour parer à la situation. Chloé (Louise Bourgoin), Alyson (Alice Belaïdi), Arben (Karim Leklou) et Hugo (Zacharie Chasseriaud) se retrouvent donc là où tout s’est joué pour eux depuis les débuts (c’est tout le talent du scénariste de reposer les enjeux dans le tumulte). Refaire corps va leur permettre de mesurer le fossé creusé par les difficultés qui n’ont cessé de s’amonceler.
De fait, cette nouvelle intrigue s’aborde comme la saison-somme de la crise hospitalière, qui s’affirme plus politique que jamais et qui croise même, par ricochet, le scandale des Ehpad. Ça déborde de partout et les soignants puisent dans leurs ultimes réserves. La réalisation de Lilti opère d’ailleurs un tournant lorsqu’elle retranscrit ce sentiment d’asphyxie permanent et de trop-plein. Témoin, cet épisode 4 qui pose une ambiance claustro, dans une saison plus ramassée (car amputée de deux épisodes par rapport aux précédentes), et où les tensions apparaissent décuplées.
Sans faire fi de leur sacerdoce, les compagnons de galère tentent le tout pour le tout et s’enfoncent littéralement dans les entrailles de l’hôpital pour espérer gagner du temps, des semblants de moyens, et surtout un peu d’espoir, en agissant contre leur hiérarchie. Manœuvre désespérée pour échapper au tri des patients, pouvoir les soigner en dehors des horaires de fermeture... bref, remplir leur mission.
Hippocrate saison 3, à partir du 11 novembre sur CANAL+
Les protagonistes d’Hippocrate, qui n’ont jamais autant flirté avec l’illégalité, agissent désormais en sous- marin comme des agents sous couverture. À l’écran, le récit se joue sur deux tableaux. Le monde d’en bas défie le monde d’en haut, au fil d’une saison où le parallèle est constant entre les camps et les visions (l’affect opposé à une bureaucratie plus procédurière). Le spectateur, pourtant aguerri, de la série, assiste effaré à la situation, à travers les yeux d’un nouveau protagoniste incarné par un acteur habitué de la filmographie du réalisateur et qui manquait à Hippocrate : William Lebghil.
Son personnage d’ophtalmo libéral devient le complice incrédule des bidouilles et des tricheries, ultimes gestes désespérés pour dénoncer l’absurde dans les décisions politiques et un déni de réalité qui n’a jamais paru aussi criant. Le constat est amer. Les initiatives dissimulées de ses héros révèlent autant d’achoppements inévitables malgré le désir ardent de faire au mieux. « En période de pénurie, il n’y a pas de bonne solution », lance Chloé/Louise Bourgoin, fataliste et pourtant jamais résignée. Reste l’humanité.
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