Derrière les barreaux : 11 livres de prison de Victor Hugo à Jack Abbott
Papillon d’Henri Charrière
Best-seller que l?on ne connaît plus aujourd?hui que parce qu?il a servi de base au film de Schaffner avec Steve Mc Queen et Dustin Hoffman, Papillon évoque le séjour de Henri Charrière au bagne en Guyane française. Le livre est remarquable et retrace donc théoriquement les aventures autobiographiques d?un détenu. Charrière a probablement mélangé plusieurs histoires dont il a été le témoin ou qu?ils auraient simplement entendues. Par-delà les débats sur sa véracité, cela reste un témoignage bien écrit et très percutant sur une page sombre de notre histoire.
Dans le ventre de la bête, de Jack Abbott et Norman Mailer
Il y a assez peu de Norman Mailer dans ce livre mais il n?aurait pas existé sans lui. Correspondant et principal destinataire de la pensée de Jack Abbott, Mailer a commis en s?engageant pour la cause de ce psychopathe qu?était Abbott la pire connerie de sa carrière d?écrivain engagé. A peine sorti de prison, Abbott qu?on avait érigé en « immense écrivain » sur le fondement de ces réflexions glaçantes, de sa peinture magistrale des QHS et de sa souffrance, poignarde sauvagement un type qui le cherchait dans un restaurant et retourne à la case prison où il se suicidera un an plus tard. Fin de l?histoire et un livre sidérant d?où qu?on le prenne.
De Profundis, Oscar Wilde
Le plus beau et le plus triste aussi. Oscar Wilde est incarcéré à Reading et prend la plume pour tenter d?analyser ce qui l?a mené là. Sa lettre de reproches à son amant Alfred Douglas se change en un long cri de détresse amoureuse, où les sentiments s?emmêlent. Wilde parle de sa détention et de sa détresse comme si elles étaient une forme de châtiment amoureux, une sanction personnelle et sentimentale infligée par son amant (et par extension par son propre penchant) plutôt que par la société dont il se gausse. De profundis est un texte tout simplement sublime d?un écrivain qui sortira brisé dans son art par cet emprisonnement et y héritera d?une infection de l?oreille qui l?emportera quelques années plus tard. Traumatique et somptueux.
François Villon, Poèmes
A ne pas confondre avec son presque homonyme et ancien premier ministre (qui n?a pas fait de prison), François Villon est l?un des premiers poètes prisonniers français. Poète star du XVème siècle, on sait à la fois beaucoup et peu sur François Villon dont on perd la trace autour de ses 35 ans. Bandit, condamné à être pendu, bouffon et escroc de grand chemin, universitaire, curé, le poète signe les poésies les plus emballantes de son époque, peignant pour la 1ère fois un pays fait de gens qui souffrent, boivent et qui ne s?occupent pas que de la noblesse. L?homme devient vite dans l?imaginaire, le premier « poète maudit » de l?histoire. Sa poésie est assez difficile d?accès six siècles plus tard.
Un jour dans la vie d’Ivan Denissovitch de Soljenytsine
La prison (le goulag), versant politique cette fois. Impossible de faire l?impasse, sur la forme (remarquable) et sur le fond (pour son importance historique), sur le livre de prison le plus lu, vendu et connu de tous les temps. La vie d?Ivan Denissovitch fait partie des livres qui, à leur manière, ont changé le monde
Le Vagabond des Etoiles de Jack London
On aurait pu choisir d?autres écrits de London qui a beaucoup écrit sur la prison et y a passé un peu de temps (une trentaine de jours) pour vagabondage. Dans le vagabond des Etoiles, Darrel Standing est enfermé à Saint Quentin et attend la mort. En s?auto hypnotisant, il s?évade par la pensée de l?enfer carcéral pour voyager dans le temps et l?histoire de la justice. Formidable roman de pure fiction, mi-réaliste, mi-fantastique, le Vagabond des Etoiles dénonce l?idiotie et la cruauté de l?univers carcéral, tout en consacrant la supériorité de l?homme et de son imagination sur la société et les sanctions qu?elle peut lui imposer. S?il ne fallait en garder qu?un, ce serait celui-ci.
QHS – Roger Knobelspiess
Pas le plus littéraire des documents, le Q.H.S de Roger Knobelspiess mérite sa place ici pour sa portée politique et sur la sincérité de l?itinéraire qu?il retrace. Tombé à plusieurs reprises pour braquage, gracié puis réincarcéré (à tort ou à raison), Roger Knobelspiess jette un pavé dans la mare au début des années 80 avec son récit ultraréaliste et qui met à nu un univers que les français de l?époque ne veulent pas connaître. L?auteur fera une très honorable carrière d?écrivain alignant une petite dizaine de romans tous, peu ou prou, consacrés à l?univers carcéral.
Les 120 Journées de Sodome du Marquis de Sade
Le livre ne parle pas directement de l?enfermement mais a été écrit alors que le Marquis était en détention sur un rouleau légendaire et gribouillé avec une écriture lilliputienne. En tant que tel, et compte tenu du déchaînement de passions qu?il met en scène, il reste difficile de ne pas faire le lien entre le bouillant marquis et la suspension des passions (autres que masturbatoires) que la prison lui a imposée. A la lecture, l?ouvrage reste assez difficile à soutenir mais son intensité et la force de la critique politique et philosophique qu?ils véhiculent en font sans conteste le livre de prison le plus remarquable de tous les temps.
Stanley Elkin – Un sale type
Au rang fiction toujours, Elkin livre avec ce roman, parmi ses plus connus (si tant est que les livres de Elkin soient connus), l?histoire carcérale la plus accablante et abracadabrante de l?histoire de la littérature de prison. Le roman met aux prises un détenu (le sale type) Feldman, colporteur juif ultime capable de vous vendre n?importe quoi à n?importe quel prix, et un directeur de prison tyrannique et surréaliste dont le comportement évoque les délires pinces sans rire de Flann O?Brien ou l?absurdité de Beckett. Un sale type est évidemment une dénonciation de la prison mais surtout un grand livre absurde et quasi anarchiste où le héros finira jugé par ses pairs dans une sorte de parodie de procès aussi hilarante que terrifiante.
Le Miracle de la rose de Jean Genet
Là encore, Genet est indissociable de l?univers carcéral dont on trouve mention dans quasiment chacun de ses livres. Dans le Miracle de la Rose, particulièrement, le narrateur qu?invente Genet décrit son expérience de la prison, à travers ses souvenirs de la colonie pénitentiaire de Mettray mais aussi de ses séjour à la maison centrale de Fontrevault (où Genet n?a jamais été détenu du reste).Le ton oscille comme chez London entre réalisme et fantastique, culminant avec le fantasme autour du c?ur d?Harcamone, révélant la rose mystique du titre. Pour le reste, la dénonciation est mêlée à un parcours sensuel entre les toilettes et les cellules qui reste une prouesse poétique.
Le dernier jour d’un condamné de Victor Hugo
En 1829, la guillotine est encore un outil et un spectacle qui fait partie de la vie de l?époque. Choqué par la violence sociale associée à ces exécutions, Hugo invente le journal d?un condamné à mort qui écrit depuis sa prison le souvenir des dernières semaines de sa vie. La prouesse romanesque est qu?on ne saura quasiment rien de ce que ce condamné à mort a fait (il a versé le sang, semble-t-il). Le roman est un long monologue halluciné et habité où se croisent les fantômes de la prison (on parle ici des forçats, enchaînés et au travail), des cauchemars éveillés et une réflexion sur la violence sociale qui conduit la société à reproduire les agressions dont elle fait l?objet sur les pauvres hères que sont les prisonniers. Le héros, sans nom, finira bien entendu exécuté sur la place publique.
La nouvelle édition des lettres et écrits de Jack Abbott, assassin et détenu éternel de QHS, libéré grâce à l’intervention de Norman Mailer et de quelques autres stars américaines, puis pénible récidiviste détraqué, finalement suicidé en 1982, est l’occasion de faire un petit état de la littérature de taulards ou d’inspiration carcérale qui sous le vocable de "prison literature" recouvre aux Etats Unis des livres écrits en prison (et qui n’en parlent pas nécessairement) comme Don Quichotte de Cervantes ou les Mémoires de Marco Polo et des ouvrages plus directement connectés à la détention, à ses joies (minces) et ses peines (lourdes). Le point commun de ces livres est de représenter le choc entre une forme de franchise exacerbée et de sentimentalisme analytique et bien entendu une extrême dureté ou brutalité. C’est cet affrontement intérieur/extérieur, dur/tendre qui constitue l’essence de l’incarcération, le rapport à l’autre se réduisant, malgré les bastons, les violences, souvent à une lutte contre soi-même. Savoir si celle-ci est rédemptrice ou un nouvel instrument de destruction est une autre affaire. Benjamin Berton
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