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Aux frontières du Body Art : Les créatures de Lukas Zpira

Body Artiste et performer de l’extrême connu et reconnu, le Français Lukas Zpira opère depuis près d’une vingtaine d’années autour du champ corporel. Dépassant le simple cycle des modes tournant autour des modifications corporelles grands publics (tatouage, piercing), mais également celles plus underground (suspension, scarification, branding, implants), Lukas Zpira passe depuis quelques temps derrière la caméra pour une série de films scrutant le chaos mondial, tout en poursuivant un travail continue de photographe hors-normes. Rencontre.Fluctuat : Lukas, qu’est-ce qui t’a donné envie de passer derrière la caméra et l’appareil photographique ?Lukas Zpira : Le public me connait à travers mon travail sur la modification du corps, mais ce n’est qu’une facette. J’ai commencé à travailler autour du corps en 1995. Si à un moment il était nécessaire que je sois à 100% sur les transformations corporelles, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Les problématiques sont différentes, mes envies aussi. Je ne me reconnais plus dans ce qu’est devenu le milieu des body mods et le peu d’évolution qui en découle. Je me concentre sur ce qui m’intéresse dans cette discipline : la réflexion autour des problématiques du corps, à travers des colloques ou mes écrits (je prépare entre autre un livre en collaboration avec Philippe Liotard) et les performances que je développe de plus en plus en collaboration avec des hackers qui créent des programmes pour moi. Je travaille en ce moment sur le développement d’une autre performance liant le corps à des interfaces machines. Je fais de la photo depuis 10 ans et je viens de l’art conceptuel. C’est surtout à ce niveau que le corps m'intéresse. Et dans ce corps, la personne m’intéresse avant tout. J’aime l’idée de l’image que l’on projette de soi. Il était logique pour moi d’essayer de fixer cette projection du "moi" qui est propre à notre espèce. J’ai aussi toujours essayé de comprendre comment ce "moi" se place socialement. L’interaction sociale entre l’image et l’individu. Que ce soit dans mon travail sur le body art, la photo ou le cinéma, l’individu est toujours l’axe central.Peux-tu nous raconter la genèse de Chaos Chronicles, ton film en deux parties aux States et en Amérique Centrale ?C’est un polyptyque trans-medias sur lequel je travaille avec ma fille, Mayliss, qui outre les films comprend aussi des photos et pas mal de textes, et qui se veut une réflexion sur le chaos qui agite notre monde. Un voyage au travers des zones d’autonomie temporaire (T.A.Z.), des zones d’exclusions. Nous sommes en ce moment en train de filmer la troisième partie en Europe de l’Est. L’idée est de faire le tour du monde et d’en donner un point de vue, loin des aprioris que nous en avons généralement. Je voyage depuis suffisamment longtemps pour me sentir comme un nomade pour qui le monde n’est qu’un énorme assemblage de villages et de tribus. Et je regrette que l’on n’en montre généralement que des caricatures, loin de l’image que j’en ai  et surtout loin de la réalité. J’avais déjà fait plusieurs tentatives avec des réalisateurs : "No Body is Perfect" réalisé par Raphaël Sibilla autour des pratiques corporelles non conformistes et "Vampyres" (4 ans avant la vague Twilight) réalisé par Laurent Courau. Dans les deux cas cela ne m’a pas satisfait. L’arrivée d’appareils facilement transportables tel que le Canon 5D ou l’Olympus, avec lequel je travaille, permet de filmer avec du matériel à des prix abordables, sans une équipe - et surtout avec des moyens  limités. Cela m’a donné envie de faire les choses par moi-même. Ma fille Mayliss s’est mise à la photo vers 14/15 ans, un âge où elle commençait à porter un regard frais sur le monde, élargissant le mien. Cela m’a permis de sortir de mon introspection et m’a donné envie de partager au delà de la simple anecdote. Cela m’amène aussi à me demander ce qu’il reste du monde dans lequel nous vivons et ce que nous en laisserons pour les générations à venir. Notre monde est au bord de l’abîme. A travers le projet que nous menons ensemble, j’essaye juste de lui fournir un parachute solide, tout en donnant un point de vue, certes fortement subjectif, mais en tout cas honnête sur ce que nous découvrons dans notre quête.Qu’est-ce qui t’inspire dans les mises en scène crées pour tes photographies récentes ? Elle semble baigner dans l’univers du "merveilleux", du fantasmagorique, plutôt que du Body Art à proprement parler...Je ne cherche jamais à représenter la réalité dans mes photos. J’essaye d’aller au delà de ce que l’on voit, de capturer ce qui est, mais que l’on ne voit pas si on n’y prête pas attention. Aller au delà de l’image, de la personne et en capturer les émotions, cachées derrière la simple apparence. Si je croyais en l’âme je pourrais appeler ça du "Soul Art" en opposition au Body Art. C’est assez invasif. Les poses sont longues, même si les séances sont rapides. Je suis incapable de faire une photo si quelqu’un ne donne pas tout. Même si je ne fais jamais de photos vulgaires et provocatrices, j’exige que mes modèles soient prêts à tout lâcher, à se mettre à nu, dans tous les sens du terme. J’aime la pudeur, surtout quand elle s’exprime sur le visage de quelqu’un à qui j’ai demandé de se déshabiller entièrement, d’écarter les jambes et de me faire confiance. Oui, l’idée de travailler sur le fantasme et l’onirique me plait. Je travaille mes photos comme des peintures, je n’en sors qu’une ou deux maximum par séance. J’aime raconter des histoires, il faut donc que mes modèles en aient une à raconter. C’est pour cela que je travaille avec peu de gens.Comment choisis-tu tes modèles ?Ce sont généralement des gens que je connais, que j’aime ou admire, qui m’interpellent ou me fascinent, qui me plaisent ou m’excitent. J’accepte parfois des travaux de commande mais uniquement dans la mesure où on me laisse carte blanche et où le sujet m’intéresse. En gros, il ne faut pas compter sur moi pour faire un catalogue. Je ne fais aucun compromis. Le modèle est au service de la photo, pas l’inverse. Et le résultat n’est là que pour servir ma cause et mon idée. C’est la facette de mon travail sur laquelle je suis le plus exigent et intransigeant.  Peux-tu nous parler de ta dernière performance "Danse NeurAle" en compagnie de Spectre ?  Spectre + Lukas Zpira @ Borderline Biennale 2011 from SPECTRE on Vimeo.Cette performance est pour moi un aboutissement et un commencement. Je travaille autour de la suspension depuis 2001 et j’ai appris pour cela à gérer mes émotions, la douleur et tout un tas de paramètres grâce à une préparation psychologique proche de ce que l’on retrouve dans la méditation. J’ai donc demandé au hacker de Spectre avec qui j’étais en contact depuis un moment de m’aider à capturer les bouleversements physiques et mentaux qui surviennent lors de mes suspensions et de se servir de ces données pour ainsi générer des sons, des images ou différentes actions perceptibles pour moi-même et le public. Je fais un énorme travail de respiration lors de ma préparation, nous avons donc installé un micro qui le capture, puis un autre qui prend les battements de mon cœur. Ces deux parties sont une représentation directe de se qui se passe. Ensuite nous utilisons un petit appareil très simple qui est à la base fait pour jouer sur un ordinateur et qui capte les ondes cérébrales. Ces ondes génèrent en premier un son, puis l’algorithme du programme créé par Spectre génère à partir de ces ondes, combinées à certains mouvements, une représentation symbolique de mon "états d'esprit" si je puis dire, en l'occurrence des ailes. Ensuite, toujours grâce aux ondes cérébrales, je commande ma montée et ma descente. La performance a beaucoup évolué par rapport à la vidéo que l’on peut voir aujourd’hui mais cela donne une idée.Propos recueillis par Maxence Grugier