Gena Rowlands dans Gloria
Columbia Pictures

Muse et compagne de John Cassavetes, cette immense actrice aura marqué le cinéma indépendant des années 70 à nos jours.

Fille d’un homme politique du Wisconsin, élevée dans un milieu raffiné et élégant, Virginia Rowlands est très tôt fascinée par Bette Davis. C'est ce qui la décide très jeune à quitter sa province pour filer à New-York et prendre des cours de théâtre. C'est là qu'elle rencontre le séduisant Cassavetes au début des années 50. Et sa vie va changer. Dans son livre indispensable sur l'actrice, Murielle Joudet rappelle la phrase de Rowlands : 

 

Je n’avais pas du tout l’intention d’abandonner ma carrière et de devenir femme au foyer. J’étais presque contrariée de tomber sur John (Cassavetes), parce que je n’avais jamais vu un homme aussi beau et je me suis dit : « Je suis foutue. »

Gena Rowlands

 

Ce sera le contraire, bien évidemment. Après des débuts à Broadway, la comédienne se retrouve à Hollywood au début des années 1960. Ses apparitions dans des séries ou dans films de studio (dans Seuls sont les indomptés, le beau western de David Miller, elle tient tête à Kirk Douglas tandis que dans Tony Rome est dangereux, c'est Frank Sinatra qui lui court après...) ne permettent pas de mesurer la puissance de son talent. Son incandescence folle et son magnétisme ne vont éclore qu'au début des années 70. C'est à ce moment-là qu'elle devient l'héroïne centrale du cinéma de Cassavetes. Ensemble, Rowlands et Cassavetes vont tourner dix films, à commencer par Un enfant attend (1963), dans lequel elle tient le rôle de la mère d'un enfant handicapé mental. Puis elle sera, entre autres, la Minnie de Minnie et Moskowitz, la fabuleuse Myrtle d'Opening Night, ainsi que l'héroïne d'Une femme sous influence et surtout de Gloria, pour lesquels elle sera nommée aux Oscars.

Gena Rowlands dans Gloria
Columbia Pictures

Ce sont ces grands mélos qui vont en effet révéler toutes les facettes de son talent électrique, les différents visages de sa personnalité totalement originale. Amour, violence, trafics de sentiments, Rowlands passe par tous les registres dans ces films qui mélangent les genres, diffractent la fiction à l'aide des techniques du documentaire. Toujours captée par la caméra libre et amoureuse de son mari, sa sensibilité, sa puissance émotionnelle, sa rage mélancolique (qui rappelle parfois la beauté froide de Romy Schneider), n'auront jamais trouvé un si bel écrin. Un cinéaste qui filme la femme qu’il aime, cela donne parfois un beau film. Gloria, mais surtout Opening Night ou Love Streams dans lesquels le couple se met en scène sans filet, sont autant des études de caractère que des documentaires sur Rowlands - et sont d'authentiques chef-d’oeuvre.

Entre les clopes, l'alcool, les rires et les cris, au coeur de ces films il y a Rowlands, réacteur nucléaire de ce cinéma en fusion, terriblement incandescent, où tout fonctionne à l'énergie. Une oeuvre où l'actrice semble d'ailleurs se brûler à chaque plan, et cherche souvent à emmener le monde dans sa propre chute. Si le cinéma de Cassavetes fut "un cinéma du corps", Rowlands en était l'incarnation la plus pure, la plus parfaite, la plus accomplie. 

 

 

Je ne sais pas vraiment qui a influencé John (Cassavetes). J’ai l’impression qu’il n’était influencé par personne même s’il admirait plein de gens et qu’il adorait les documentaires. Mais je ne peux pas dire franchement qui l’a influencé... à part moi.

Cassavetes et Rowlands
DR

Sans vouloir la réduire à son couple, cette matrice folle du ciné indé américain reste pourtant exemplaire. Rowlands/Cassavetes c’est la longévité et l’exemplarité de Joanne Woodward/ Paul Newman avec l’accomplissement artistique de Diane Keaton/ Woody Allen doublé d’une postérité unique. Leur puissance à l’écran vient en premier lieu de ce que ce couple farouchement hors système a incarné durant trois décennies : l’exigence, la proximité affective (favorisant la spontanéité et l’improvisation), l’autofiction, le naturalisme poétique... 

Après la mort de Cassavetes, l'actrice se fera alors plus rare. Sa carrière ne s'arrête pourtant pas là. Elle apparaît chez Jim Jarmusch ou Terence Davies (comme un fétiche cassavetien) mais c'est surtout pour ses enfants qu'elle accepte de sortir de sa retraite. Elle jouera dans les films de son fils Nick Cassavetes et notamment dans le beau N'oublie jamais mélo déchirant qui mettait encore en scène une histoire d'amour atemporelle.