La Foret d'emeraude
AMLF

En ce lundi soir, Arte propose de redécouvrir ce chef-d'oeuvre écolo de John Boorman (Délivrance, Excalibur...). A ne pas manquer !

C'est un drôle de film qu'on pourra revoir dans quelques heures à la télévision. Un drôle de film mal-aimé dans la carrière de John Boorman qui compte pourtant une poignée de chef-d'oeuvres (Delivrance, Excalibur, Le Point de Non-Retour). Mais celui-là coince. Etrangement. La forêt d'émeraude raconte l'histoire d'un ingénieur américain parti construire un barrage en Amérique du Sud et qui s’installe avec sa famille en Amazonie. Un jour, son fils disparaît. Dix ans plus tard Tommy réapparaît, mais, élevé par une tribu, il est devenu totalement indien…

Tout Boorman est encapsulé dans cette fable écolo : l'utopie, le rêve, la magie, le récit initiatique. C’est ce que brasse John Boorman depuis Délivrance et ce qu'il synthétise parfaitement dans ce film lyrique qui avance entre les lianes de la mythologie et de l'aventure. On a reproché le final un peu trop dialectique, les dérives écolo, mais ce qu'on n'a pas voulu voir, au fond, c'est que ce qui fascine cet immense cinéaste rousseauiste, c’est précisément la nature. Comme il nous le confiait à Cannes :

"J’adore les grandes villes, mais seulement quelques jours à la fois. Très vite, le paysage me manque. J’ai été élevé au bord de l’eau. La rivière, le flux, le mouvement, sont essentiels pour moi. Mes films traitent des rapports de l’homme avec la nature, parce que je suis convaincu qu’il est très dangereux de prétendre pouvoir couper cette connexion sans dommage. J’habite dans une maison en Irlande depuis 45 ans, elle aussi située au bord d’une rivière et entourée d’arbres que j’ai plantés moi-même par milliers et que j’ai vu grandir. Parfois j’aime mieux mes arbres  que mes voisins. Plus je vieillis et plus je me sens vivre à leur échelle. Un ami, qui partage la même passion que moi, m’a dit pour mon anniversaire : ‘80 ans, ce n’est pas vieux quand on est un arbre.’"

C’est le message de La Forêt d'émeraude. C'est là, dans cette jungle filmée comme la forêt légendaire d’Arthur, aux frontières du réel et de l’imaginaire, que l'homme doit se ressourcer pour que surgisse le meilleur de lui-même. Mais au-delà de ça, c’est la caméra attentive et mobile de Boorman, ses compositions frénétiques et l’utilisation envoutante des sons et des bruits qui donnent une grâce stupéfiante à ce film radical et précieux.

John Boorman : "Délivrance a été un tournant"

En 2017, alors qu'il était honoré d'une rétrospective à la Cinémathèque Française, John Boorman avait commenté sa filmo dans Première. Voici ce qu'il nous confiait à propos de La Forêt d'Emeraude :

"Je ne peux pas dissocier le tournage du film du film lui-même, l'expérience du résultat. J'ai écrit le tournage dans un livre, Money Into Light. Le livre est d'ailleurs meilleur que le film. Avant d'avoir fait le film, j'ai vécu dans une tribu, les Chingu, qui n'ont été découverts par les Occidentaux qu'en 1947. Tous les membres de la tribu qui avaient plus de 40 ans pouvaient se rappeler du temps où ils pensaient qu'ils étaient seuls au monde. Ils vivaient à l'âge de pierre. C'était extraordinaire. Notre monde insiste sur l'individualité. C'est aliénant. Les membres d'uen tribu ne sont pas individualistes, par définition. Ils font partie d'une tribu. C'est une bonne manière de vivre. J'ai appris beaucoup avec eux, sur notre monde. Je crois qu'au fond nous sommes des êtres tribaux. C'est notre nature. Mais nous n'avons plus de tribus. Nous avons des familles, nous allons voir des matchs de foot. La notion de tribu est vaporisée un peu partout. Nous exprimons cela par la guerre, c'est un besoin profond ("a deep need for warfare") qui ressurgit de temps en temps. L'effet tribal est là en permanence, mais il n'est pas compris, pas reconnu. C'est l'histoire que racontent mes films. Retrouver ce désir perdu. L'expérience d'un film dans une salle de cinéma, pas devant sa télé, restaure ce sentiment tribal dans le public. Netflix est aliénant : il rend l'expérience cinéma individuelle et pas tribale."

John Boorman : "La caméra s’arrête, et tu meurs"