Joker Joaquin Phoenix
2019 Warner Bros. Entertainment Inc. All Rights Reserved. TM & © DC Comics / Niko Tavernise

Todd Phillips raconte les origines du méchant le plus barré de Gotham City. Un immense film politique sous influence scorsesienne assumée, porté par l’interprétation démente de Joaquin Phoenix.

C'était l'un des films événement de l'année 2019 : Joker reviendra ce dimanche sur TF1, au moment où sa suite, Folie à deux, vient de sortir en salles... et reçoit de mauvaises critiques, cinq ans après la réception étrange du premier volet, qui a attiré des millions de spectateurs en salles, au point d'atteindre le milliard de dollars de recettes dans le monde, mais qui a pu être détourné de son objectif de départ en étant perçu comme un "exemple" par une partie du public.

"Analyser la folie de Fleck est une façon de tendre un miroir au premier film, où plutôt à la réception de celui-ci, qui a été accusé par certains commentateurs de romantiser les incels ou les tueurs de masse, écrit-on à propos de sa suite. Des critiques que Todd Phillips a manifestement prises très au sérieux, au point de fuir à toutes jambes dans la direction opposée, prenant bien soin d’éviter ici toute titillation de nos bas instincts de spectateurs avides de violence et de spectacle séditieux, et de ne surtout pas glorifier son antihéros."

Dit comme ça, on pourrait espérer que Joker 2 réfléchit intelligemment à ces questions, et qu'il offre un divertissement différent du premier Joker, mais toujours de qualité. Pour Première, si c'était l'objectif, c'est complètement raté : 

"Le résultat est si monotone, si vide d’idées, d’envie et d’énergie, qu’on en vient presque à se demander si cette sortie de route n’est pas la conséquence d’une pulsion autodestructrice, comme si Todd Philips et Joaquin Phoenix avaient soudain décidé de casser leur jouet, de saborder leur lucrative association plutôt que de capitaliser sur leur succès. De faire, au fond, ce qu’aurait fait leur personnage de clown kamikaze : tout exploser sur son passage, puis contempler un sourire aux lèvres les ruines laissées par le grand incendie. La "folie à deux" du titre, c’est peut-être aussi celle du cinéaste et de l’acteur."

A la rédaction, on est d'autant plus déçus qu'on avait apprécié le premier Joker. Voici notre longue critique, publiée à sa sortie.

Joker : Folie à deux, la soupe à la grimace [critique]

N’en déplaise aux pessimistes persuadés que les studios hollywoodiens ont définitivement rendu les armes côté ambition artistique, les yeux rivés sur les recettes de leurs films devenus produits, il est donc possible de regarder un film centré sur un personnage de comics sans devoir se fader des déluges d’effets spéciaux comme on essaie de noyer une viande avariée sous une sauce épaisse. Oui, dans ces temps de suites, reboots, spin-off à la pelle avec leurs personnages au kilo, il est donc possible de tendre vers l’épure pour revenir à l’essentiel : une histoire implacable servie par une réalisation au cordeau et une interprétation jamais inutilement spectaculaire.

C’est tout cela qu’a réussi Todd Phillips avec Joker et bien plus encore. L’ouverture de son film donne le la. On y voit Arthur Fleck se maquiller en clown, « métier » qui fait vivoter cet apprenti comédien de stand up en tenant en pleine rue une pancarte pour attirer le chaland. Devant une glace, il met ses mains sur son visage pour y forcer un sourire. Un sourire pour se donner du courage et affronter l’indifférence de la rue et plus encore la violence. Car une bande va décider de s’amuser à ses dépens en lui volant sa pancarte avant de le rouer de coups.

En quelques scènes, tout est dit. Joker sera un grand film sur l’humiliation, sur l’impunité totale dans laquelle se croient les plus puissants face aux plus faibles corvéables et humiliables à merci. Jusqu’à ce que la coupe soit pleine et que la révolte surgisse. Brutale L’action a beau se dérouler dans les années 80, Joker s’inscrit pleinement dans notre époque, celle où peuple et élites (politique, médiatique, économique...) semblent devenus définitivement irréconciliables.

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Mais ici aucune jouissance du sang qui gicle, nul jeu morbide avec le spectateur. Quand Fleck/ Joker tue, il n’y a pas de sommation. Cette absence d’effet caractérise la réalisation précise et jamais agitée de Phillips. Après Adam McKay avec The Big short, voici donc un autre golden boy de la comédie américaine s’aventurant dans un registre sérieux, virage entamé avec War dogs. Mais lui va encore plus loin dans la noirceur.

Joker se vit sous tension, au gré d’influences scorsesiennes assumées et parfaitement digérées, à commencer par La Valse des Pantins puisque Robert De Niro joue ici un personnage d’animateur de talk show proche de celui de Jerry Lewis qu’il harcelait chez Marty. Un De Niro d’une sobriété exemplaire et parfait complément donc de l’interprétation démente de Joaquin Phoenix. Il faut être un génie insensé du jeu pour interpréter comme lui toutes les nuances de la folie, de la plus intériorisée à la plus flippante. Pour ne jamais bégayer dans son interprétation. On aurait pu croire le rôle usé par les interprétations inoubliables de Jack Nicholson et Heath Ledger. Phoenix réinvente le mythe. Car il n’est jamais dans un one man show mais la pièce – évidemment centrale – d’un vaste puzzle qui ne repose pas uniquement sur lui. Joker sera-t-il un game changer ? Dans ce monde hollywoodien où le cinéma de geek autrefois regardé de haut a pris le pouvoir en se comportant parfois avec le même mépris vis-à-vis des autres cinémas que celui dont il a été victime, le box- office de Joker sera scruté de près. Mais tout cela n’appartient plus à Todd Philipps. Lui a fait l’essentiel : un immense film d’auteur populaire. L’un des chocs majeurs de 2019.


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