Le réalisateur de Fêlés revient sur la genèse de ce film et sa collaboration de plus de 20 ans avec son comédien principal qui vient de fêter son 90ème anniversaire
Comment naît l’idée de Fêlés ? Vous connaissiez depuis longtemps l’Association Arc en ciel – lieu d’accueil de personnes ordinaires mais violentées par la vie, dont les adhérents se soutiennent mutuellement dans leur lutte contre les difficultés quotidiennes - qui vous l’a inspiré ?
Christophe Duthuron : La toute première étape, c'est que je voulais rentrer à la maison ! Car je suis Marmandais. Je cherchais donc un sujet lié à cette ville. Un ami m’a alors spontanément suggéré cette association. Et dès l’instant où j’ai franchi sa porte, je ne m'en suis jamais remis. Cet endroit m'a pris dans ses bras et pour ne plus me relâcher. Et ce coup de foudre pour ce qui était au départ dans mon esprit le décor d’une intrigue est devenu un sujet.
Pourquoi cela vous a-t-il parlé autant ?
Ca a répondu à des questions intimes, en fait. J'étais à un moment où je cherchais du sens. Je venais de terminer Les Vieux fourneaux. J’éprouvais une sorte de baby blues et je me suis retrouvé en face de gens qui répondaient au fond précisément à toutes les questions que je me posais à ce moment- là sur la possibilité de construire une vie sur mesure, de s'affranchir des toxines que peuvent être le jugement, la compétition… toutes ces choses qui nous pourrissent la vie. Car ces femmes et ces hommes dont le monde s'est effondré ont retrouvé, grâce à cette association, le chemin de la joie. Et ce que j'ai reçu de leur part, j'ai eu envie de le partager très fort.
Vous auriez pu en faire un documentaire. Pourquoi le choix de la fiction ?
Nicolas Philibert l’a fait merveilleusement en documentaire. Mais j’ai tout de suite opté, moi, pour la fiction, dans le but de chercher à toucher des gens au- delà de ceux qui sont déjà sensibilisés au problème. D’aller planter des graines chez ceux qui ne sont pas forcément venus les chercher. Comme ce que j'ai ressenti, moi en entrant dans les bureaux de cette association. Egoïstement ou très subjectivement, j’ai au fond beaucoup parlé beaucoup de moi dans ce film, derrière les personnages qui sont décrits, même s'ils sont tous inspirés d'histoires réelles. Cependant, je ne voulais pas mettre leurs histoires et leur intimité sur la place publique. J’entendais absolument garder cette vérité, mais je savais que la fiction allait me permettre de créer une distance et la comédie populaire de toucher un public plus large.
C’est le grand défi du film : concilier comédie et les situations souvent tragiques qu’ont vécues les personnages. Comment construit- on cet équilibre ?
En fait ce que vous racontez épouse parfaitement ce que j’ai ressenti en rencontrant les pensionnaires de ce centre. Ils possèdent en eux cette drôlerie et ce tragique associés en permanence. Ils ont un tel appétit de vie que, ensemble, ils peuvent dire les pires conneries, en faire aussi d'ailleurs, et en même temps, le tragique ne les quitte jamais. Donc ce sont eux qui m’ont guidé sur cette ligne de crête.
Il était évident dès le départ que Pierre Richard, votre interprète des Vieux fourneaux avec qui vous travaillez aussi régulièrement au théâtre depuis 20 ans, camperait le directeur de cette association ?
Oui, même si le sujet a précédé la distribution des rôles. Mais une fois que j’avais décidé de faire ce film, Pierre est le seul que j’ai envisagé dans le rôle du directeur. Ne serait- ce que parce qu’il a en lui ce penchant naturel pour ce mélange de comédie et de tragédie que vous évoquiez. C’était un rôle pour lui et j’ai pu le constater dès sa première visite à cette association où il s’est immédiatement et naturellement glissé dans cet environnement en faisant oublier à tout le monde l’acteur légendaire qu’il est.
Autour de lui, vous avez réuni un casting réunissant des comédiens professionnels et des non-professionnels qui sont pensionnaires de cette association. Comment avez- vous choisi ces derniers ?
En premier lieu sur la base du volontariat. À partir du moment où je n’ai pas voulu raconter des histoires de façon nominative, n'importe quel adhérent de la maison pouvait jouer une histoire qui ne lui appartenait pas. Et je ne pouvais en passer par le volontariat car ce sont des hommes et des femmes qui, au quotidien, ont des hauts et des bas, des jours avec et des jours sans. Il m’était impossible de leur demander d'être tous les jours disponibles et efficaces. On a fait évoluer en permanence le plan de travail par rapport à eux. On était à leur service. Ce sont eux qui ont dicté le calendrier. Mais ne prendre que des comédiens professionnels auraient été à l’encontre du projet même du film.
Comment avez- vous travaillé avec eux ?
Il était vain de repérer, a fortiori car on était dans leurs murs, dans le lieu où ils évoluent tous les jours. J'avais donc largement plus intérêt à les laisser vivre les choses sur le moment, plutôt qu'à leur faire préméditer quoi que ce soit. Y compris dans les dialogues. Ils en connaissaient le sens, en amont mais je ne les leur donnais les dialogues précis que juste avant le tournage de la scène.
Et comment dirige t’on Pierre Richard ?
J'ai envie de dire qu’il faut faire le tri. Car il donne énormément. Il est d'une générosité incroyable. Diriger Pierre, c’est presque un travail de sculpteur. C’est quelqu’un qui ne se juge pas, qui ne se regarde pas. Il est dans l'abandon total. Alors ça donne parfois des choses lunaires mais elles nourrissent le film. Depuis 20 ans, il faut toujours qu’on est un projet en cours. Un livre, une pièce ou un film. Et je ne chérirai jamais assez notre complicité. Même si de temps le petit garçon du Lot et Garonne que je suis resté n’en revient pas de pouvoir travailler avec l’un des héros de son enfance.
Fêlés. De Christophe Duthuron. Avec Pierre Richard, François Berléand, Bernard Le Coq… Durée : 1h31. En salles depuis le 28 août
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