La folie douce et généreuse du réalisateur de Gaz de France donne naissance à une irrésistible romcom.
En ouvrant sa programmation par Le Daim et en fermant le ban par Yves, la Quinzaine des réalisateurs 2019 a fait le choix de la cohérence en clamant haut et fort son amour des cinéastes français aimant manier l’absurde dans d’apparentes comédies qui vont à chaque fois vagabonder vers d’autres rives. Mais si Quentin Dupieux et Benoît Forgeard partagent un penchant pour les pitchs bien secoués, la comparaison entre eux s’arrête là. Car à mille lieues du nihilisme assumé et rageur de Dupieux, Forgeard trace, lui, sa route, mû par une générosité empathique envers les personnages qu’il a imaginés. Il accompagne chacune de leurs scènes comme un père s’enthousiasmerait des premiers pas de son enfant avec un émerveillement qui résiste à tous les cynismes et fait de son Yves une réussite incontestable. Et un non moins incontestable bond en avant par rapport à son premier long, Gaz de France, satire politico-absurde du pouvoir, qui avait du mal à tenir la distance sur 90 minutes. Sur le papier, Yves pouvait pourtant laisser craindre la redite : un pitch prometteur qu’on étire jusqu’à plus soif. Or les apparences vont se révéler bien trompeuses... On suit ici les aventures de Jérem, jeune homme cossard, qui s’installe dans la maison de sa grand-mère pour composer son premier disque de rap. Il accepte de prendre à l’essai Yves, un prototype de réfrigérateur intelligent censé lui simplifier le quotidien, que lui propose So, une enquêtrice travaillant pour une start-up spécialisée dans l’intelligence artificielle. Mais Yves va vite dépasser son simple rôle d’organisateur des tâches ménagères. Il s’empare des brouillons de texte et de musique de Jérem pour composer des tubes de rap qui vont propulser ce dernier au rang de star...
GAGS À GOGO
Ce point de départ bien perché ouvre en grand le champ des possibles. Forgeard va les faire fructifier avec une inventivité sans relâche. Certes, toutes ses idées ne font pas mouche. Certes, Yves connaît ici et là quelques baisses de régime. Mais l’essentiel se situe ailleurs : le réalisateur réussit à enchaîner les gags sans jamais perdre de vue l’arc de son récit. Yves ne se résume donc pas à une succession de saynètes, aussi réjouissantes soient-elles (le concours de l’Eurovision où les chanteurs sont remplacés par des appareils électroménagers fera date !). Forgeard fuit la facilité paresseuse du film à sketches pour donner naissance à une drôle de romcom, puisque So va bien malgré elle mettre à mal l’harmonie entre Jérem et Yves, peu à peu révolté devant le comportement de plus en plus arrogant de son bien ingrat « poulain ». Le tout avec un souci permanent du détail, un soin particulier apporté à la BO et le talent d’une bande de comédiens (William Lebghil, Doria Tillier et Philippe Katherine en tête) capables de jouer les situations les plus surréalistes avec un sens du premier degré qui leur donne tout leur relief. Leurs compositions riches en nuances permettent au film d’embrasser un large spectre d’émotions (l’épilogue est particulièrement réussi).
AUDACE ET POÉSIE
Avec Yves, Forgeard parle de l’intrusion des intelligences artificielles dans notre quotidien avec une modernité mordante. Et signe un film d’autant plus sociétal qu’il raconte tout autre chose : la naissance d’un artiste dans l’univers musical 2.0, une histoire d’amour en apparence impossible qui devient possible, un robot qui s’humanise en prenant le meilleur et le pire de ce que nous sommes... Il y a de la poésie à revendre dans ce film jamais effrayé par sa naïveté et ses audaces. L’œuvre d’un cinéaste dont on attend les prochaines aventures avec une gourmandise décuplée.
Yves, en salles le 26 juin 2019.
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