Les deux tours du World Trade Center constituaient un monument dédié au grand capital. Les affaires se concluaient désormais à des hauteurs inatteignables pour le commun des mortels ; le business dominait littéralement le monde libre. Philippe Petit a remis un peu d’humanité dans ce barnum nourri aux stock-options. Parce que c’est un saltimbanque, donc un grand naïf, il ne voyait dans ces tours que la main de l’homme, le génie logistique, le tour de force à ce point inouï qu’il finit par inspirer un geste poétique. Parce que c’est un artiste, donc un vrai mégalo, il voulait aussi poser son empreinte sur l’une des œuvres architecturales les plus colossales du XXe siècle.Nous étions le 7 août 1974 et, au petit matin, il tendit un câble entre les toits des deux tours, à plus de 400 mètres de hauteur. Il le parcourut puis fit demi-tour, recommença, s’allongea dessus, contempla les cimes. Une promenade dans le ciel au-dessus du vide, avec « la sensation de voler » plus haut que le sommet du monde. Aujourd’hui encore, il les appelle « mes tours », et on le comprend.Petit avait imprimé un peu de grâce et de délicatesse sur la surface de ces deux gigantesques blocs de béton. Il avait su donner l’impression que ces deux totems de l’économie libérale avaient été bâtis pour ça. Au fond, l’exploit ne résidait pas tant dans le fait d’avoir bravé la peur du vide ou de ne pas s’être tristement ratatiné sur le bitume que dans celui d’avoir réussi à plier le monde à sa propre vision. Cette histoire-là, qui a évidemment pris une dimension terriblement mélancolique après le 11 Septembre, a déjà été racontée plusieurs fois dans des livres, des documentaires et d’innombrables articles de presse. Robert Zemeckis, lui, a voulu en faire une fiction ciné sous la forme d’un film de casse. Fort d’une expertise high-tech hors norme, il s’offre le luxe de rejouer cette traversée comme un grand manifeste de cinéma physique – en 3D, ça fait quelque chose, on vous aura prévenus. Mais au-delà du plaisir forain, du ride sans filet et du besoin d’archiver une bonne fois pour toutes ce geste fou, l’auteur de Flight s’est surtout retrouvé ici nez à nez avec Philippe Petit, un mec tout ce qu’il y a de plus réel mais qui semble pourtant sorti d’un film de... Bob Zemeckis ! Et ça aussi, ça fout sacrément le vertige.>> The Walk : une bande annonce de 5 minutes">>>> The Walk : une bande annonce de 5 minutesLes héros de Zemeckis ne sont pas pragmatiques, ils carburent à la quête de l’absolu. Pas tout à fait des freaks, jamais complètement dans le rang, ils observent leur environnement avec un léger décalage, un regard de biais souvent enchanté, autour duquel s’articule la mise en scène virtuose du cinéaste, incitant ce dernier à relever les défis technologiques les plus impensables. Plier le monde à sa propre vision, c’était le sujet de Forrest Gump, de Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, de Seul au monde, de la trilogie Retour vers le futur, de Contact, et c’est encore celui de The Walk. Comme toujours, le film est raconté à travers les yeux de son héros, un type qui cherche la poésie partout, un gars perché dans tous les sens du terme. Évidemment, pour épouser ce regard-là, il fallait savoir exploser les perspectives, démultiplier la profondeur de champ, « re-spatialiser » tout un environnement.Une fois de plus, Zemeckis s’est astreint à repousser d’un cran les limites technologiques de son époque, à imaginer un nouveau film « impossible » pour mieux nous caler dans la roue de son personnage principal. Depuis presque quarante ans, cet homme-là s’échine à filmer l’« infilmable » (une teen comedy avec les Beatles sans les Beatles, un blockbuster où des toons donnent la réplique à des acteurs live, une fable post-Capra où Tom Hanks serre la main de JFK) jusqu’à en faire le seul vrai credo de sa carrière foutraque. The Walk raconte en creux que rien ne semble pouvoir l’arrêter, surtout pas le poids des années. Sa grande vision à lui ? Le jamais-vu.François GreletThe Walk avec Joseph Gordon-Levitt, Charlotte Le Bon, Ben Kingsley sort dans les salles françaises le 28 octobre prochain. En attendant, on regarde une vidéo américaine qui fait la promo du film ET de Première. It will blow - your - mind : Retrouvez le film de Robert Zemeckis en couverture du dernier numéro de Première, toujours dans les kiosques.
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