Le premier film animé sur le Tisseur était présenté en "work in progress". Bluffant.
Pour mesurer l'engouement autour de Spider-Man : Into The Spider-Verse (Spider-Man : New Generation dans sa traduction française), il suffisait de faire un tour du côté de la salle Pierre Lamy d'Annecy ce mardi matin. Dans la foule compacte massée devant l'entrée, beaucoup espéraient pouvoir récupérer une place en dernière minute pour le « work in progress » organisé par le festival du film d'animation. Certains campaient même dans la rue depuis 5 h 30, soit quatre heures avant les festivités. Beaucoup de déçus, peu d'élus (la salle contient environ 300 places) pour ce qui semble être l'événement le plus couru d'Annecy 2018.
« Pourquoi un autre Spider-Man ? C'est probablement la question que beaucoup d'entre vous se posent », entame le co-réalisateur Peter Ramsey. La réponse est simple : « Il y a eu des tas de super versions de Spider-Man sur grand et petit écran. Mais jamais de film d'animation. » Né d'une envie de Sony de rafraîchir la marque Spider-Man, ce long-métrage animé sur le Tisseur s'écarte d'emblée des adaptations en live action : le héros n'est plus Peter Parker – tout de même présent, on vous rassure - mais Miles Morales, un jeune afro-américain apparu dans les comics Marvel en 2011. Si le scénario reste obscur, on sait que le script signé Phil Lord (co-réalisateur de La Grande Aventure Lego ou 21 Jump Street, également producteur de Spider-Man : Into The Spider-Verse avec son acolyte Chris Miller) proposera plusieurs incarnations de Spider-Man - visiblement issues de mondes parallèles - dans ce qui semble être un pur récit d'initiation.
Morales devra au passage se frotter à quelques méchants de l'univers Spider-Man, dont le méconnu Rôdeur et une nouvelle incarnation du Bouffon vert, si nos yeux ne nous ont pas joué des tours lors de la projection furtive d'une séquence. « Miles pourrait difficilement être plus éloigné de Peter Parker. Déjà, ses deux parents sont en vie », glisse Ramsay dans un sourire. « L'une des idées centrales du film est que n'importe qui peut se cacher derrière le masque. Peu importe qui vous êtes, d'où vous venez. Et vos pouvoirs ne solutionnent pas tous vos problèmes, ils révèlent qui vous êtes vraiment. »
Enchaînant les extraits, Ramsey, Dimian et Thompson dévoilent scène folle avec Miles Morales se rendant sur la tombe de Peter Parker (???)... avant que ce dernier ne débarque subitement derrière lui, sans plus d'explications. « Peter est un personnage très différent dans notre film », promet le superviseur des effets spéciaux Danny Dimian. Parker semble effectivement plus vieux et avoir pris un léger embonpoint. « Mais il est mort ! », se marre Peter Ramsey. « Ou bien... ». On n'aura pas le fin mot de l'histoire, mais notre petit doigt nous dit que la solution se cache dans le multivers teasé par le titre.
Retour aux sources
Cette relecture du mythe s'exprime pleinement sur le terrain visuel. Spider-Man : Into The Spider-Verse épate avec son parti pris graphique radical, d'une logique implacable : « Au lieu de suivre la voie des autres films, on s'est dit qu'il fallait revenir à la source, aux comics » .Une tarte à la crème ? Une promesse en l'air ? Pas ici. Concrètement, les animateurs ont décidé d'imiter les traits de crayon sur les contours des personnages, ainsi que pour les expressions du visage. « On m'a donné comme consigne: 'Fais quelque chose que personne n'a jamais vu'. Plus facile à dire qu'à faire ! Notre obsession, c'était de détruire autant que possible le rendu classique d'animation 3D. De loin mon projet le plus difficile », précise le production designer Justin Thompson, qui s'empresse de prouver ses propos avec la projection des différentes étapes de construction d'un gros plan sur Aaron Davis, l'oncle de Miles (doublé en VO par Mahershala Ali). « Vous pouvez prendre n'importe quel plan du film, c'est comme si vous viviez dans une illustration que quelqu'un aurait vraiment dessinée », fanfaronne-t-il. On aurait du mal à lui donner tort.
Soucieuse de renforcer le style distinct du film après un premier essai qualifié de « décevant » par Thompson, l'équipe a décidé de s'inspirer des défauts d'impression des planches de bandes dessinées américaines des années 60-70. Le calage approximatif des rotatives donnait en effet un effet de flou involontaire sur certaines cases - simulant malgré elles le mouvement - et l'encre débordait sur pratiquement toutes les pages... « Dès qu'on trouvait quelque chose d'intéressant, on l'analysait, parfois jusqu'à ce que le dessin devienne complètement abstrait ».
A l'écran, pas de motion blur (une imitation du flou que l'oeil humain perçoit lors d'un mouvement dans la vraie vie) comme ailleurs, mais un léger décalage de la « caméra », reproduisant l'effet des planches de comics. L'image est également tramée comme si elle sortait de la presse (les points « d'impression » sont visibles) et les couleurs se chevauchent régulièrement. Dans un extrait, on a même pu découvrir la présence de cartouches jaunes pour renforcer la narration, ainsi que des onomatopées pour reproduire les sons ambiants, comme le freinage d'une voiture. Beaucoup plus réalistes dans leur traitement, les décors forment une fidèle reproduction de New York, capturée grâce à des centaines de clichés de la Grosse Pomme. Le tout sublimé par un jeu d'ombre et de lumière d'une précision qui force le respect.
Avant de quitter la salle sous les applaudissements nourris du public d'Annecy, Ramsey assure que Spider-Man : Into The Spider-Verse n'est qu'un début pour les films animés de super-héros au cinéma : « Si on réussit celui-ci, d'autres suivront irrémédiablement ». La superhero fatigue prophétisée depuis des années vient de prendre un nouveau coup dans les gencives.
Spider-man: Into the Spider-Verse (Spider-Man : New Generation), réalisé par Bob Persichetti, Peter Ramsey et Rodney Rothman, dans les salles françaises le 12 décembre 2018.
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