DR

A première vue, Touch of Sin a tout du monolithe noir intimidant et foutraque : quatre histoires (et un épilogue) plus ou moins reliées racontant les destins tourmentés d'une poignée de personnages dans la Chine contemporaine. Ah oui, pendant 2h13. Evidemment, tout cela ressemble à un film de festival légèrement gavant surtout quand on connait le pedigree du cinéaste spleenatique, surtout célèbre pour ses plans à rallonge sur des barrages ou des villages miséreux. Une fois approché, Touch of Sin se révèle intrigant par son ampleur et son style monstrueux. Le chemin effectué par Zhang Ke depuis le réalisme bressonien de Xiaowu artisan pickpocket en 1997 est sidérant. En 2013, le réalisateur quitte l'hyperréalisme social (même si la critique sociétale et le scalpel clinique sont toujours les buts de Zhang Ke), préférant le grotesque et le thriller pour enrober son pamphlet vénère. Dans une ville minière, un homme tente de se dresser contre la corruption des élites ; un étrange tueur est miné par l'ennui ; une employée de maison close essaie de convaincre son amant de quitter sa femme ; un jeune chômeur trouve du boulot dans un club et flirte avec une prostituée... Difficile de relater toute la richesse de ce quatre segments : Zhang Ke emploie une telle palette d'effets que Touch of Sin devient vite un kaléidoscope dont le principal moteur est la violence.Shotgun stories Un motard exécute trois bandits, le justicier de la ville minière fait le ménage au fusil de chasse façon vigilante, un double crime aveugle en pleine rue, un homme tué au couteau... Chaque histoire commence et s'achève avec un crime ou un acte de violence et de mort, sans doutes les "moments de péché" auxquels le titre fait référence (en plus du King Hu) et on ne s'étonnera pas de voir de très légers clins d'oeil à un cinéma de la violence (l'apparition furtive d'extraits de films de Johnnie To et de Tsui Hark dans un coin de l'image). Finalement, un peu comme le récent Place Beyond The Pines (et plus lointainement le History of Violence de Cronenberg), Touch of Sin devient vite un panorama ambitieux sur l'irruption de la violence dans une société malade. Encore une fois, la force de Zhang Ke c'est d'avoir troqué son cinoche habituel pour déployer un sens de la mise en scène affolant (la photo est superbe), qui manie l'image-choc avec justesse et surprend en permanence le spectateur en faisant emprunter à ses personnages (le cast est d'une belle force - une future Palme collective ?) de nombreux chemins et bifurcations. Morale de l'histoire : tout est violence, attirance et répulsion, dans cette Chine polymorphe et torturée. Passionnant.Sylvestre Picard (@sylvestrepicard)