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Sly n’a pas mentionné le réalisateur de Creed dans son discours. Mais son prix, il ne le doit qu’à lui.

« Je remercie mon ami imaginaire Rocky Balboa pour avoir été le meilleur ami que j’ai jamais eu ». 

Sylvester Stallone a reçu le Golden Globe du meilleur second rôle pour Creed, le film de Ryan Coogler dans lequel il revient dans la peau de Rocky, dix ans après Rocky Balboa. Dans son discours de remerciements, il mentionne la presse étrangère, sa famille, son agent, le studio, les producteurs historiques de la saga Rocky Irwin Winckler et Robert Chartoff, « qui avait carrément hypothéqué sa propre maison pour parier sur un acteur balbutiant, m’offrant la chance de ma vie ». Et, par dessus tout donc, « mon ami imaginaire Rocky Balboa ». Aucune mention de Ryan Coogler, le cinéaste qui lui écrit le rôle.

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Pour une grande part du public, Stallone, c’est Rocky. Les deux se confondent à tel point que Michael B. Jordan, la jeune star de Creed, racontait dans un entretien à EW le mois dernier que la première fois qu’il a vu son partenaire, il était presque surpris de ne pas rencontrer Rocky mais bien Sylvester Stallone, l’acteur : « Et je me suis dit mais c’est dingue, pendant tout ce temps il jouait la comédie, il existe en vrai, il n’est pas Rocky ! Ca dit quelque chose de ses talents d’acteur… »

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Mes nuits avec Rocky

Entendre la star s’adresser à son double de cinéma est incroyablement émouvant pour tout fan de la saga. Stallone est né, a grandi, a souffert, a vaincu, a échoué, s’est relevé maintes fois, toujours plus cabossé, d’autant plus bouleversant, avec Rocky Balboa, personnage qu’il a créé il y a 40 ans et qui, en retour, a fait de lui ce qu’il est devenu. L’acteur sait ce qu’il doit à sa création. Et si lui ne se confond pas avec l’underdog de Philadelphie, il lui parle comme à un ami, la nuit. EW rapporte qu’en coulisses, la nuit dernière, Stallone a raconté qu’il s’adressait à son double fictif. « De temps en temps, quand je suis seul, vers 3 ou 4h du matin, j’allume mon ordinateur et je lance le truc où on peut se filmer et enregistrer une conversation, et avec ça il arrive que naissent quelques idées très intéressantes. On a tous un dialogue intérieur (…) Donc oui j’ai de longues conversations avec Rocky Balboa et de temps en temps un petit bout se retrouve dans un film ». On paierait cher pour avoir accès à l’ordinateur de Sylvester Stallone.

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Alors non, cette nuit, Stallone n’a pas remercié Ryan Coogler sur la scène du Beverly Hilton. La presse et les réseaux s’en émeuvent. Surtout les stars africaines-américaines. Ava DuVernay, la réalisatrice (engagée) de Selma a twitté : « Bon, eh bien je vais remercier Ryan Coogler et Michael B. Jordan puisque personne d’autre le fait. Merci mes frères. Beau travail ».

Et Samuel L. Jackson : « #waitwaitwait, Ryan Coogler et Michael B. Jordan, Merci d'avoir joué avec moi !! J’adorais Stallone mais… ».

Le Hollywood Reporter fait un papier sur le sujet, titré « Sylvester Stallone critiqué pour avoir oublié le réalisateur NOIR de Creed ». Si on comprend bien, le problème n’est pas d’oublier de mentionner son réalisateur quand on reçoit un prix mais bien son réalisateur NOIR. Il est aberrant de penser que Stallone n’a pas remercié Coogler en raison de sa couleur de peau - Vulture rapporte accessoirement que l’acteur est revenu sur scène pendant la coupure pub pour réparer cet oubli. On lui tombe dessus aujourd’hui parce qu’il n’a pas respecté l’étiquette hollywoodienne, et certains s’en saisissent pour créer une polémique raciale. Mais la vérité, c’est que c’est l’histoire de Rocky. Le drame de Stallone est de n’avoir jamais rencontré de vrai cinéaste dans sa carrière (contrairement à Schwarzy) mais c’est précisément ce qui le rapproche encore de son personnage. Il s’est fait tout seul. Stallone, comme Rocky, c’est le grand mythe américain du self made man. Rocky appartient à Stallone. C’est son personnage, sa création, son bébé. Quand il est arrivé chez United Artists avec son script, il s’est battu pour ne pas en être dépossédé – personne ne voulait de lui dans le rôle titre, mais une star comme Redford, Burt Reynolds ou James Caan. Quand Matt Damon reçoit le prix du meilleur acteur pour Seul sur Mars par la National Board of Review, c’est Sylvester Stallone qu’il remercie : c’est en suivant son exemple que Ben Affleck et lui se sont battus pour ne pas se faire déposséder de Will Hunting, qu’ils avaient écrit et grâce auquel ils voulaient percer. Comme toujours dans l’histoire de Rocky, la réalité et la fiction se rencontrent et se nourrissent et l’histoire de l’underdog qui se bat envers et contre tout pour arriver au top est non seulement le miroir de la vie de son créateur, mais carrément une parabole universelle.

Avec Creed, Ryan Coogler réalise un rêve de gosse. A la fois spin-off de la saga, suite de Rocky Balboa et finalement fan fiction, son film imagine l’histoire du fils illégitime d’Apollo Creed, l’adversaire légendaire et meilleur ennemi de Rocky. Sans l'accord de Sly, sans sa participation, Creed n’aurait jamais vu le jour. Aujourd’hui, le cinéaste presque débutant, né 10 ans après la sortie du premier Rocky, doit plus à Stallone que Stallone ne doit à Ryan Coogler. En français, son film est d'ailleurs sous-titré "l'héritage de Rocky Balboa". Tout est dit.

Bande annonce de Creed, mercredi dans les salles :