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Quand on lui a parlé il y a deux mois l’acteur était sincèrement sceptique sur ses chances.Mi décembre, alors que nous shootions la couverture du numéro de février de Première avec Gilles Lellouche et Jean Dujardin, ce dernier parlait de sa campagne pour les Oscars avec une distance amusée et l’envie de ne pas y croire une seule seconde. Pas pour afficher de la fausse modestie ou pour se préserver de la déception qu’aurait engendrée une éventuelle défaite. Non, Dujardin pensait sincèrement qu’il n’avait aucune chance de décrocher la statuette. « Le film, peut être, mais certainement pas moi », nous avait-il dit avec une conviction désarmante. Au point où l’on s’était presque senti gêné de lui répondre qu’il ferait mieux de prévoir un smoking pour le 26 février au soir… Car à ce moment-là, The Artist s’était déjà détaché comme le favori des Oscars, ce que les Golden Globes et toutes les cérémonies qui ont suivi (BAFTA, SAG, DGA, etc.) n’ont cessé de confirmer. George Clooney avait beau se tenir en embuscade, prêt à doubler notre frenchie goes to Hollywood sur la ligne d’arrivée, l’irrésistible opération séduction de Jean Dujardin sur le public américain ressemblait trop au conte de fées idéal pour être privée de son happy end. Lorsque Natalie Portman a pris la parole hier soir pour vanter sa prestation dans The Artist, on pouvait lire sur le visage de l’acteur qu’il avait encore peur d’y croire.La décontraction imperturbable qui était la sienne depuis le début de cette incroyable success story venait de laisser place à une authentique montée d’adrénaline, comme s’il venait subitement de comprendre que son nom pouvait réellement être contenu dans l’enveloppe que Portman n’allait pas tarder à décacheter. C’est effectivement le sien qu’elle a appelé (ou quelque chose de suffisamment approchant comme « Jeanne Dujardine ») pour lui offrir un aller simple vers l’Histoire : Dujardin est le premier Français à remporter l’Oscar du meilleur acteur, et le seul comédien à avoir gagné un prix d’interprétation à Cannes, un Golden Globe, un BAFTA, le prix de la Screen Actors Guild et l’Oscar. Un grand chelem auquel il ne manque ironiquement que le César. Regardez bien sa réaction lorsqu’Omar Sy lui a soufflé ce trophée qui aurait parachevé le sans faute : Jean Dujardin a l’air ravi pour son concurrent, et presque soulagé de voir la statuette lui échapper. Une réaction qui n’a rien d’étonnant de la part d’un acteur qui a toujours avoué que sa plus grande crainte serait de se dire un jour qu’il est « arrivé ». On est prêt à parier qu’il parlera de cet Oscar comme d’une étape, d’un encouragement à aller encore plus loin. Arrêtez-le si vous pouvez.Mathieu Carratier