Nouvelle claque formelle du russe Andreï Zviaguintsev, Leviathan est un film monstrueux dans tous les sens du terme. Une œuvre opaque, hyper ambitieuse et bouleversante, qui semble incarner à tous les plans la définition du film russe. Un film branché sur de l'universel et sur les meilleurs passages de la Bible, qui invente des icônes d'images stupéfiantes. Remettons un peu d’ordre : quatrième film de l’abonné cannois Zviaguintsev (après Le Retour, Elena…), Leviathan ressemble à un film noir qui partirait dans tous les sens, emprunterait des fausses pistes pour mieux composer son tissu narratif d’une prétention colossale (le titre fait autant référence à la Bible qu’à Hobbes pour son analyse du corps social).
Ce monstre plastique se déploie à partir de quatre pôles. Il y a d’abord Dimitri, mystérieux avocat venu en Sibérie pour aider son vieux pote de l’armée Kolia parti en guerre contre un maire corrompu qui cherche à l’exproprier. Kolia est marié avec Lilya. Quand le maire, archétype du pouvoir corrompu de la russie contemporaine (violence, fric, alcool…) décide de s’occuper des rebelles et qu’un pique-nique tourne mal, la vie de Kolia part en vrille. Le film suit donc le parcours de ces personnages pour composer une parabole biblique et une étude de mœurs. Mais Leviathan est aussi une comédie très dark qui brocarde les quatre piliers de la Russie moderne : le semblant de démocratie, la corruption, la religion et la vodka. L’infusion politique où s’entremêlent un rapport maladif à l’Etat, le pharisianisme orthodoxe et une violence symbolique ancestrale est dénoncée dans une mise en scène d’un tarkovskisme dément (les plans lunaires et cosmogoniques) où il ne faudrait surtout pas voir de la pesanteur, mais une grâce qui gagne progressivement en intensité, en noirceur et en complexité. Comme un monstre de cinéma.
Gaël Golhen
Leviathan d'Andreï Zviaguintsev, avec Alexei Serebriakov, Elena Lyadova, Vladimir Vdovichenkov, sort aujourd'hui dans les salles
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