Le nouveau Tarantino n'est que le onzième film tourné dans ce super format vintage, l'un des plus spectaculaires de l'ère pré-Imax.
Les enfants, sortez vos cahiers. Si vous vous intéressez ne serait-ce qu’un tout petit peu aux 8 Salopards, vous n’ignorez sans doute pas que le dernier trip cinéphilico-nostalgique de Quentin Tarantino est shooté en Ultra Panavision 70. Euh… hein ? C’est le nom d’un type très particulier de format cinéma, une sous-catégorie du 70mm tourné avec des objectifs anamorphiques qui donnent à l’image une largeur inhabituelle, et que QT vient de ressusciter pour donner la patine old-school nécessaire à son western en huis-clos. Mis au rencard il y a près d’un demi-siècle, l’Ultra Panavision n’a été utilisé dans les années 50 et 60 que pour dix films en tout et pour tout :
L’Arbre de vie (Edward Dmytryk, 1957)
Monty Clift, Eva Marie Saint et Elizabeth Taylor. La vie, l’amour, la mort sur fond de Guerre de Sécession. Budget faramineux pour l’époque (6 millions de dollars) et une tentative évidente, pour la MGM, de réitérer le carton d’Autant en emporte le vent. Raté (L’Arbre de vie est surtout resté dans les mémoires comme le film durant lequel Clift eut l’accident de voiture qui le laissa défiguré). Ce premier film tourné en Ultra Panavision 70 (qui s’appelait encore le MGM Camera 65 à l’époque – on vous passe les détails techniques) ne fut d’ailleurs jamais projeté dans ce format aux Etats-Unis : en 1957, tous les projecteurs 70mm du pays étaient monopolisés par le triomphal Tour du monde en 80 jours.
Ben-Hur (William Wyler, 1959)
Charlton Heston surpuissant, Hollywood conquérant, le budget fou, le tournage fleuve, la durée monstre (3h30), les Oscars en pagaille, les galères, la course de chars, les dialogues crypto-gays avec Messala, Jésus… Et l’Ultra Panavision 70 gagna ses lettres de noblesse.
Les Révoltés du Bounty (Lewis Milestone, 1962)
Moins bien que la version de 1935 (celle avec Clark Gable et Charles Laughton), mieux que celle de 1984 (starring Mel Gibson et Anthony Hopkins), c’est quand même la plus iconique de toutes, grâce à Brando, impérial, au zénith de son star-power, qui tomba doublement amoureux pendant le tournage (de Tahiti, puis de l’actrice Tarita, sa future femme) avant de faire dérailler le film, multipliant les retards et les caprices de diva, épuisant plusieurs réalisateurs, explosant le planning et le budget et finissant par transformer le projet en super flop.
La Conquête de l’Ouest (John Ford, Henry Hathaway, George Marshall, 1962)
Alors qu’en 1962 le western commence à entrer dans sa phase dite « crépusculaire » (L’homme qui tua Liberty Valance, Coups de feu dans la Sierra…), ce méga-film à sketchs blindé de stars (Henry Fonda, John Wayne, James Stewart, Gregory Peck…) grave dans le marbre le mythe « officiel » de l’Ouest. Tourné en Ultra Panavision, donc, mais aussi en Cinérama (le film était projeté sur trois écrans extra-larges), How the West was won fut un immense carton, qui traumatisa pas mal de gosses des sixties – dont Kevin Costner, qui expliqua un jour que c’est ce film qui a forgé sa vision du monde.
Un monde fou, fou, fou, fou (Stanley Kramer, 1963)
La seule comédie du lot, aussi pharaonique, mégalo et démesurée que les péplums de l’époque. Durée record (le montage initial faisait 3h30) et, autour de Spencer Tracy, un all-star cast de vieilles gloires comiques totalement inconnues sous nos latitudes (Milton Berle, Sid Caesar…). Le Ben-Hur du genre.
La Chute de l’empire romain (Anthony Mann, 1964)
Le modèle de Gladiator. Pas le plus grand film d’Anthony Mann, non, mais l’un des plus gros, tourné dans sa période king-size, entre Le Cid et Les Héros de Telemark. L’une des preuves irréfutables, surtout, que l’Ultra Panavision se savoure d’abord sur grand écran. Sur les télés hertziennes riquiqui de la fin du XXème siècle, ce film gigantesque a toujours eu l’air un peu étriqué.
La plus grande histoire jamais contée (George Stevens, 1965)
Un all-star cast, encore un (Charlton Heston, Sidney Poitier, Van Heflin…) entoure Max Von Sydow, choisi pour incarner le Christ dans son premier film US, où la Jordanie des Evangiles est reconstituée dans le Colorado. Un an plus tard, en 66, John Huston filmera La Bible, en 2 heures et 54 minutes. George Stevens, lui, a, besoin de 4h20 (!) pour raconter la vie de Jésus. Dieu bénisse les entractes.
Sur la piste de la grande caravane (John Sturges, 1965)
Un spoof de western, sorte de Lucky Live live avec Burt Lancaster. La rédac de Première s’enorgueillit de compter en son sein au moins un fan hardcore de ce film, par ailleurs totalement indéfendable.
La Bataille des Ardennes (Ken Annakin, 1965)
Un gros machin de Deuxième Guerre mondiale un peu patapouf, pas le plus excitant du genre. Des stars, du fric, plein de minutes au compteur… La routine de l’Ultra Panavision, quoi. Et un fun fact pour la route : c’est le deuxième film de cette liste avec Telly Savalas (le futur lieutenant Kojak joue Ponce Pilate dans La Plus Grande Histoire jamais contée).
Khartoum (Basil Dearden, 1966)
Et de trois pour Heston, recordman du genre. Après Ben-Hur et La plus grande histoire jamais contée (où il est Jean-Baptiste), Charlton affronte Laurence Olivier dans la pétaudière du Soudan de 1883. Super film, mais le vent de l’histoire commence à tourner. Un an plus tard, en 67, Le Lauréat et Bonnie and Clyde vont sonner le glas des productions mammouth à l’ancienne. Les baby-boomers ne veulent plus voir ce genre de trucs et leurs parents préfèrent désormais rester à la maison devant la télé. C’est la fin du Vieil Hollywood, et avec lui, de l’Ultra Panavision, relégué au cabinet des curiosités. L’hibernation va durer un demi-siècle.
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