Ce qu’il faut voir cette semaine.
L’ÉVENEMENT
LE CAS RICHARD JEWELL ★★★★☆
De Clint Eastwood
L’essentiel
Inspiré d’une histoire vraie, ce thriller de Clint Eastwood interroge une nouvelle fois la figure du héros et de l’Homo americanus.
Le 27 juillet 1996, une bombe artisanale explose au Centennial Olympic Park d’Atlanta, qui accueillait cette année-là les Jeux olympiques d’été. Le film de Clint Eastwood ne raconte pas la préparation de l’attaque ni le parcours du terroriste (un militant anti-avortement qui ne sera arrêté que sept ans plus tard). Le cinéaste s’intéresse à l’agent de sécurité, Richard Jewell, qui, le soir de l’explosion, trouva un sac rempli d’explosifs sous un banc, déclencha l’alerte et évita le pire. Le héros anonyme devint une star médiatique, mais il déclencha la paranoïa du FBI, l’avidité prédatrice de la presse et se retrouva surtout victime d’une machination qui allait en partie détruire sa vie.
Gaël Golhen
PREMIÈRE A ADORÉ
PARASITE BLACK & WHITE ★★★★☆
De Bong Joon-ho
Parasite de Bon Joon Ho -certifié meilleur film de 2019 (Palme d’or, Oscars et tutti quanti)- ressort en salles dans une version noir et blanc. Une coquetterie qui lui permet d’accéder un peu plus au statut de classique du septième art. Un tel geste en 2020 est, peu ou prou, comparable à celui qu’effectuerait un musicien décidant de « coucher » un de ses albums sur un vinyle 180 grammes histoire de l’isoler de la masse dématérialisée et lui assurer une certaine postérité. Tout ceci ne serait donc qu’un simple péché d’orgueil d’un auteur qui croule sous les louanges depuis bientôt 10 mois et sa Palme cannoise? Pas vraiment.
Thomas Baurez
PREMIÈRE A AIMÉ
L’APPEL DE LA FORÊT ★★★☆☆
De Chris Sanders
Avec L’Appel de la forêt, Chris Sanders ne s’est pas juste attaqué à un emblème de la littérature américaine. Le génie de l’animation, à qui on doit notamment les sublimes Dragons et Lilo & Stitch, a délaissé les planches à dessin pour passer derrière la caméra. Le tout premier film en live action du réalisateur et illustrateur, qui propose ici et pour la première fois, une lecture intégrale de l’œuvre de Jack London (1903) sur grand écran.
Julia Mothu
UNE MÈRE INCROYABLE ★★★☆☆
De Franco Lolli
Elle ne veut pas. Au médecin qui lui annonce son cancer, Leticia, une septuagénaire revêche, dit non. Elle refuse le traitement. Sous l’oeil effaré de sa fille venue l’accompagner. Dès lors, à l’image de cette première scène choc, Franco Lolli développe dans Une mère incroyable les relations houleuses de ce duo : la mère, en fin de vie, au caractère bien trempé, interprétée par Leticia Gómez (la propre mère du réalisateur), et sa fille aînée, Sylvia, qui en plus de la maladie de sa mère, doit faire face à une accusation de corruption dans son travail et s’occuper seule de son fils. Franco Lolli, réalisateur colombien passé par la Fémis, dont il est sorti avec les félicitations du jury, dresse un portrait de femme complexe et audacieux, sans jamais céder à la facilité du mélo. L’animosité qui pimente les relations entre la mère et la fille ne se calme pas avec la douleur. Et quand Sylvia (épatante Carolina Sanin, par ailleurs écrivaine et féministe reconnue en Colombie) s’autorisera enfin une histoire d’amour, la mater familias mourante ne cessera de lui lancer des piques. Après Gente de bien, son premier film découvert à la Semaine de la critique en 2014, le cinéaste confirme un talent certain pour filmer le conflit. Il parvient à donner à un sujet difficile (la fin de vie) une vitalité extraordinaire. En dépit des querelles qui y règnent, le gynécée qui se réunit pour les derniers moments renvoie l’image d’un au revoir apaisé.
Sophie Benamon
WET SEASON ★★★☆☆
De Anthony Chen
On avait découvert le Singapourien Anthony Chen avec Ilo Ilo, subtile chronique familiale récompensée par la Caméra d’or au Festival de Cannes 2013. Le voici de retour avec un portrait de femme complexe : Ling, prof d’anglais, mal mariée, son beau-père grabataire à charge et un désir d’enfant inassouvi. Ling s’injecte régulièrement des hormones dans le ventre, toute seule dans sa voiture, avant de donner ses cours. Sa rencontre avec Wei Lun, un étudiant esseulé, va être à l’origine d’une remise en question... À la manière d’un peintre impressionniste, Chen procède par petites touches émotionnelles dont l’addition finit par rendre concret le bouleversement intime de Ling. À travers sa trajectoire, c’est aussi toute une société patriarcale déclinante que le film dépeint sans fard.
Christophe Narbonne
JINPA, UN CONTE TIBÉTAIN ★★★☆☆
De Pema Tseden
Voilà un film qui demande un effort. Celui de passer outre sa scène d’ouverture très belle visuellement mais prenant tellement son temps qu’on se croit embarqué dans ce fameux cinéma d’auteur pour festivals excluant à trop jouir de lui-même. Fausse piste. Car si la beauté de la mise en scène reste intacte, Jinpa ne va pas cesser de jouer avec le spectateur et de mêler les genres avec une jouissance partageuse. Comment qualifier ce bout de chemin accompli ensemble sur un plateau désertique du Tibet par un camionneur venant d’écraser à sa grande tristesse un mouton par mégarde et le jeune homme qu’il prend en stop, en route pour une vengeance. De western ? De road movie ? De comédie noire ? Un peu des trois à la fois, le tout nappé d’un surgissement du fantastique qui lui offre une superbe et poétique conclusion. Wong Kar-Wai a vu juste en le produisant.
Thierry Cheze
PREMIÈRE A MOYENNEMENT AIMÉ
TOUT PEUT CHANGER, ET SI LES FEMMES COMPTAIENT À HOLLYWOOD ? ★★☆☆☆
De Tom Donahue
Voici un docu dont la pédagogie permet de repréciser l’étendue des dégâts concernant la place des femmes à Hollywood, en remontant au moment pivot du passage du muet au parlant, quand les hommes ont pris le pouvoir pour ne plus le lâcher. Et pourtant, par-delà la faiblesse de sa forme, ce film nous laisse sur notre faim. D’abord, par l’absence -étonnante au vu de la richesse du casting – d’une voix essentielle : Kathryn Bigelow, seule réalisatrice oscarisée à ce jour. Ensuite et surtout, par l’absence de débat. La faute aux patrons de studio qui ont refusé de répondre. Mais aussi à ce parti pris d’asséner des vérités sans les confronter à des contradicteurs qui, en pointant des imprécisions, auraient permis de renforcer le propos par un échange. Tout cela donne la sensation d’un monologue forcément redondant. Un docu nécessaire mais pas indispensable.
Thierry Cheze
SORTILÈGE ★★☆☆☆
D'Ala Eddine Slim
Comme dans The Last of Us (2018), son premier film, le réalisateur tunisien Ala Eddine Slim livre une méditation sur la condition humaine, entre occultisme et symbolisme. Autant dire qu’il faut s’accrocher et laisser toute rationalité de côté pour apprécier ce – très lent – conte initiatique où l’on suit, tour à tour, la fuite éperdue d’un déserteur, puis l’égarement d’une jeune femme enceinte dans la forêt-refuge qui abrite le premier. Ala Eddine Slim est indéniablement doué : Sortilège impressionne par ses travellings majestueux et son travail sur la lumière et le son qui installent une atmosphère prenante. On pense à Kubrick, impression confirmée par l’intrusion soudaine d’un monolithe noir qui ajoute un peu plus à la confusion générée par cette mystérieuse robinsonnade.
Christophe Narbonne
PREMIÈRE N’A PAS AIMÉ
LETTRE À FRANCO ★☆☆☆☆
De Alejandro Amenábar
Et si, avec Régression, Amenábar avait fait passer un message ? Car la décennie 2010 fut meurtrière pour le réalisateur des Autres avec seulement deux films au compteur et la perte évidente de son mojo. Reconnaître sa patte dans cette exploration d’un moment décisif de l’histoire espagnole récente tient ici de la mission impossible. Le sujet est pourtant passionnant : comment l’écrivain Miguel de Unamuno, soutien inattendu du coup d’État de Franco en partisan de l’ordre, a pris peu à peu conscience de son erreur. Comment un homme dont l’avis fait autorité peut admettre son erreur et en assumer les conséquences au péril sa vie. Mais ce propos universel perd toute sa puissance dans une mise en images de (mauvais) téléfilm, engluée dans une reconstitution riche en moyens mais pauvre en âme, donnant le la au ton didactique et jamais enflammé ou un tant soit peu ambigu du récit.
Thierry Cheze
Et aussi
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