Rencontre avec le dessinateur et cinéaste autour de son dernier film, adapté de Sébastien Japrisot.
La première chose qui frappe en regardant le film, c'est le fétichisme 70s. Pourquoi avoir fait ce choix de design ?
Pour moi ce ne sont pas les 70’s. Je n’ai pas fait un film d’époque, j’ai fait un film avec une esthétique et un look particuliers. Comme quand je fais une BD ou un dessin, je procède toujours de la même manière. Là, je me suis demandé quelles étaient les règles esthétiques que je voulais suivre pour cette adaptation. Les réponses sont arrivées très vite : je voulais de l’horizontal, du minimalisme (dans les décors et les tenues), un éclairage de film en noir et blanc, mais avec de la couleur partout - ce qui supposait d'enlever de la lumière au maximum - et le langage des films - français mais pas seulement - que je voyais petit. Pas ceux des années 70, mais plutôt ceux des années 75-80. Ce sont ces choix qui ont décidé de l'ambiance du film et de sa tenue visuelle.
Tout cela finit par ressembler à un fantasme de cinéma. Comme si vous convoquiez tous les films qui vous avaient nourris.
Pour faire ce film, j'ai eu besoin de voir des films. Et j'ai revu de manière instinctive ceux qui m'ont appris le cinéma. Même quand ils n’avaient rien à voir avec l'histoire, les thèmes ou l'ambiance. J’ai revu Le Parrain, Taxi Driver… des films à très petit budget qui à un moment sont touchés par la grâce. J'ai revu certains Corman. Corman c’est important pour l’état d’esprit. Scorsese disait : "Quand on veut se rappeler ce qu’est le cinéma, on fait un film 15 jours avec Corman". Bon là, c’est loin d’être le cas. On a eu une grosse préparation, 3 mois de tournage, une équipe relativement nombreuse, très réactive et très soldat.
Corman c'était important pour le côté série B je suppose.
Oui et non. La Dame dans l'auto n’est pas une série B. C’est de l’imagerie, mais dans ce qu’elle a de plus psychanalytique, de plus symbolique. C’est comme quand on me dit d’un film que c’est une bande-dessinée. Je le prends comme un compliment. Ça veut dire que c’est très profond et que ça n’a rien de superficiel. J'ai toujours pensé qu'il n'y avait que deux façons de filmer. Soit on filme le quotidien, soit on cherche une espèce de vérité. Mais la vérité, c’est au théâtre, c’est dans la représentation. La vertu de ce film, c’est de n’utiliser que du matériau de cinéma. Quand tu as rêvé (d’une femme, d’une voiture ou d’un coup de fusil), les images qui t’apparaissent ne sont pas les images de tous les jours. Ce sont des images de cinéma. J’ai essayé de retrouver ça, des éléments qui constituent un rêve.
Et c'est la qu'on rejoint Japrisot.
C'est vrai qu'il y a toujours une dimension féerique, Lewis Carrol, dans ses romans. J'aime son univers, j'ai grandi avec ses bouquins et La Dame dans l'auto est symptomatique de son travail. D'ailleurs, on retrouve des thèmes ou des symboles qui reviennent constamment chez lui : la dame coupable, le manteau blanc, l’amnésie, la voiture, le huis clos avec un type inquiétant... C'est dans La Dame dans l'auto, à des degrés divers dans Un long dimanche (de fiançailles ndlr)... et Compartiment tueur, mais aussi dans Le Passager de la pluie qu'il avait écrit pour le cinéma et qui est un film très marquant (je me suis amusé à faire des citations du Passager de la pluie par pur plaisir fétichiste comme vous diriez). Mais j'aime surtout Japrisot pour ce que ça raconte vraiment.
C'est à dire ?
Ce sont toujours des histoires très complexes qui parlent de la France. Le sous-texte de La Dame dans l’auto, c’est la libération sexuelle. Relisez le roman : il y a deux femmes, une qui a avorté et une qui a plein d’amants. On est dans les années 60 et les deux femmes se définissent vraiment par leur sexualité. Il y a autre chose aussi. La guerre. Si mes souvenirs sont exacts, au début du roman l'auteur indique que la mère de l'héroïne était collabo et a été tondue ; que le père a été écrasé par un train et faisait de la contrebande.
Mais tout cela a disparu du film.
Oui, mais pas complètement parce que ça infusait la manière dont on faisait le film. La question de cette histoire c’est en surface : "cette fille est-elle folle ou pas ?". Mais de manière plus profonde, ce que pose le roman c'est : "qu’est-ce que c’est que la culpabilité française ?", qu’est-ce que c’est qu’une française qui a un cadavre dans son coffre ? Et là on y est. C’est aujourd’hui. "Je suis folle ou je ne suis pas folle ?" ça ne m’intéresse que très moyennement. Par contre, "je suis coupable ou je ne suis pas coupable ?", ça m’intéresse beaucoup plus. Il y a un vertige autour de cette question et une résonance qui rendent le film plus...
Profond ?
Encore, oui. Je sais bien que le film a l’air superficiel. Mais il m’intéresse pour une raison : dans la lecture que je propose – qui est vraiment ma lecture pour le coup – l'héroïne s’échappe de cette question (coupable ou pas coupable ? ) en choisissant de devenir coupable. Et ça c’est une résolution du paradigme kafkaien. Le héros kafkaien à qui on a annoncé sa culpabilité décide d’embrasser ce qu’on lui a imposé comme cette fille dans l'auto !
Ça, ça amène à un autre paradoxe. Vous me racontez tout ça et pourtant... La Dame dans l'auto est un film de commande.
(Rires) C'est vrai. Pour la première fois, je ne suis pas l’auteur du texte d’un film que je réalise. Et ça, ça m’a beaucoup intéressé parce que je me suis battu parfois avec, parfois contre. J’ai proposé deux ou trois petites modifications dont je ne peux pas trop parler pour ne pas éventer la fin, mais globalement j'ai respecté ce qu'on m'a donné.
Quand vous dites "contre" vous pensez à quoi ?
Les scénaristes ont enlevé le jus du roman pour en faire une histoire factuelle et moi je me suis amusé en douce à mettre mes souvenirs. Du roman, de films... On m’a apporté le scénario, je pense, parce qu’ils avaient aimé le moment où dans Gainsbourg (Vie héroïque) on voit Gainsbourg et Bardot ensemble. Ils ont du se dire que je saurais faire les années 70. Mais je ne voulais pas faire de second degré, de cynisme ou d'hommage stérile …. Ce qui m'intéressait était ailleurs
Et c'est ?
Deux choses. D'abord, j’ai besoin d’émotion et d’émotions simples. Et j’ai besoin d’utiliser ce qui me plaisait quand j’étais enfant. La j'avais tout : une femme vraiment belle, un méchant vraiment méchant, des morts violentes qu’on voit vraiment (avec les yeux qui tombent des orbites)… L'émotion immédiate qui vient de l'ADN thriller. Et puis L'Eté meurtrier.
?
Japrisot est un auteur qui transforme les femmes en héroïnes. Ça se fait toujours dans la douleur, mais c'est ce qu'il y a de plus fort chez lui. C'est beau et très triste... Et dans ce registre, le plus fou c'est L'été meurtrier. Ce qui est constant dans ce film-là, c’est : qu’est devenu L'Été meurtrier ? Le film pose la question tout le long. C’est un film qui m’a marqué enfant. C’est la première fois que je voyais Adjani, j’étais petit mais je trouvais ça cruel, choquant. La Dame dans l'auto reprend beaucoup de choses de ce film il me semble...
Beaucoup de choses ici passent par l'incarnation, le jeu des acteurs. Par exemple le trajet du personnage de Dany (qui devient femme) épouse symboliquement là transformation de Freya Mavor (qui passe du statut d'inconnus à celle de star sous le regard de la caméra).
C'est amusant que vous me disiez cela : le scénario était écrit comme ça. C’était le parcours d’une femme un peu moche qui tout à coup, met une mini jupe, des talons et se prend pour une star. Mais ça n’avait aucun sens. Dans un roman ça marche, mais au cinéma, quand une fille est grande et jolie, tu le vois tout de suite. Moi, j’ai décidé qu’elle était jolie mais qu’elle ne le savait pas. Ce qui est beaucoup plus simple et beaucoup plus émouvant. Ça permettait d’être plus simple à jouer pour Freya, et surtout plus simple pour moi : je ne sais pas rendre des filles moches, ça ne m’intéresse pas. Par contre, le fait qu’elle ne soit pas à l’aise, que ce soit compliqué, qu’elle soit mal (soit elle titube, soit elle frime), ça a du sens. Parce que c’est un film où, si on compte ses moments de bonheur, on s’apercevra qu’il n’y en a pas beaucoup.
Vous avez un casting constitué principalement d'acteurs étrangers...
Et ce n'est pas un hasard. Il n'y en a qu’un qui est francophone (mais c'est un chanteur) et les trois autres ont tous une double nationalité ou une double culture. Stacy (Stacy Martin ndlr) c’est l’Angleterre et la France, Freya c’est l’Ecosse et la France et Elio (Elio Germano ndlr) est italien et se débrouille en Français. Ça fait au final un film un peu dissonant. Mon amour de Gainsbourg ne disparaît pas je crois : j’avais dans l’idée que les dialogues seraient montés comme du talk over, presque comme du Bashung. Pour accroître la sensation d’être dans un rêve ou dans un roman.
Biolay dans le genre est magnifique, très Laid Back pour continuer la métaphore musicale.
Quand Biolay est arrivé, il a tout de suite dit : "bon, ben c’est Chirac le patron". Chirac est séduisant, beau mec, et Biolay a vraiment joué le rôle en pensant à Chirac. Il est à la fois très séduisant, mais il y a ces moments où il n’a pas peur de verser dans le porc. Ma référence, c'était Gallia, ce film génial de Lautner qui fait le portrait d'une petite ville bourgeoise. Il y a ce moment où les personnages se rassemblent pour baiser leurs secrétaires... C’est proprement dégueulasse.
Et ça rejoint également le propos social du roman de Japrisot.
Exactement. Une idée centrale du roman, c’est la justice de classe. Cette idée (qu'on trouve dans les Jour de France 70s ou Les Parisiennes de Kiraz) de la relation complexe entre la secrétaire et son patron. Qu’est-ce qu’on fait avec ça aujourd’hui ? En terme de look, on a pensé à Mad Men, évidemment. Mais Mad Men a une telle jouissance de ça (de cette époque jusque dans ses conventions sociales), que ça crée une nostalgie. Moi je ne suis pas nostalgique. J'y vois un vrai truc d’oppression et je cherche à savoir comment mon héroïne va s’en libérer. Du coup, Mad Men, on l'a pris un peu à contre pied. Nos bureaux sont bordéliques et notre patron pas très clair.
J'ai une dernière question : pourquoi votre dame est elle rousse ?
Pourquoi est-ce qu’elle est rousse ? Ah ah ah. Elle devait être blonde parce que Freya est blonde, mais il y a eu une teinture la veille du tournage qui a mal tourné et Freya est sortie toute rousse… Comme ça faisait 4 fois qu’elle changeait de couleur, on a décidé d'arrêter les frais. On s’est aussi dit qu’avec Marlène Jobert, ça ferait une belle passerelle avec Le Passager de la pluie... Un film, c'est aussi une somme d'accidents !
Interview Gaël Golhen
La Dame dans l'auto avec des lunettes et un fusil sort le 5 août 2015 en France. Découvrez la bande annonce ci-dessous.
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