Rencontre avec l’auteur du phénomène indé de l’année.
Un fantôme (Casey Affleck, recouvert d’un drap) hante la maison qui fut la sienne, et veille en silence sur son amoureuse endeuillée (Rooney Mara)… Petit film au concept funambule, tourné avec un budget minuscule et dans le plus grand secret, A Ghost Story aura passé 2017 à faire parler de lui. D’abord en janvier, à Sundance, où il faisait sensation lors d’une projection triomphale. Puis en septembre, à Deauville, où il terrassait la critique française. Et aujourd’hui, enfin, en surgissant dans les salles en même temps que dans pas mal de tops de fin d’année. Réalisateur aussi à l’aise dans le circuit indé (Les Amants du Texas, son premier long, déjà avec Rooney Mara et Casey Affleck) que chez le géant Disney (son remake live de Peter et Elliott le Dragon), David Lowery nous raconte les secrets de fabrication de son haïku poétique fulgurant.
David, tout le monde s’accorde à dire que le concept de A Ghost Story, avec son fantôme sous un drap, était éminemment casse-gueule. A quel moment avez-vous eu la certitude que ça allait marcher ?
Oh, très très tard ! Quelque part vers la fin de la post-production, je dirais (Rires). C’est vrai que c’était un pari risqué. Mais il y a eu plein de petits moments, pendant le tournage, qui me faisaient régulièrement reprendre confiance en moi. Le 3ème ou 4ème jour, par exemple, on a tourné la scène où Rooney et Casey s’endorment l’un contre l’autre, le plan était magnifique, je me suis dit : “OK, même si le film est raté, j’aurais au moins réussi ça.” Mais ce n’est qu’au moment du mixage, alors que je revoyais le film dans le noir, que l’histoire a “marché” sur moi comme si j’étais un simple spectateur. L’espace d’un instant, j’ai oublié que je regardais mon film. C’est toujours bon signe !
Est-ce vrai que vous vous êtes lancé dans le tournage en ignorant si A Ghost Story serait un court ou un long-métrage à l’arrivée ?
C’est Rooney qui avait des doutes. Elle pensait que ça marcherait mieux en court-métrage. Il faut dire que le script ne faisait que 30 pages… Moi j’étais confiant, je savais que j’avais assez de matière pour un long, mais j’ai assuré Rooney que rien ne serait gonflé artificiellement. Si ça avait dû être un court, ça aurait été un court.
Qu’est-ce qui était le plus risqué à vos yeux ? Savoir si le fantôme allait être crédible ? La durée limite de certaines scènes ?
Non, non, c’était le fantôme, seulement le fantôme. J’étais très confiant sur le rythme du film, je savais que j’allais être dans mon élément, que ce serait une mise en scène assez provocante, pas du goût de tout le monde, mais ça ne me posait pas de problèmes. J’avais juste peur que le fantôme gâche tout. Si l’image de ce mort qui se promène sous un drap n’avait pas marché, c’est tout le film qui était fichu.
A Ghost Story : un film pas fantôme [Critique]
D’où vient l’envie de faire un film de fantôme avec, euh, un “vrai” fantôme ?
Je ne sais pas pourquoi, mais cette idée m’a toujours obsédé. J’ai fait un court-métrage d’animation avec un bedsheet ghost dedans. C’est un symbole fascinant, qui convoque tellement de références pop, de Charlie Brown à ce film espagnol génial intitulé Finisterre, où deux fantômes parcourent le pays. Je voulais utiliser le symbole du fantôme pour figurer le fantôme. Voir ce que ça donnerait si on décrétait que le symbole était le vrai truc (the real thing).
Tourner un film sous le radar, dans le plus grand secret, avec des stars comme Rooney Mara et Casey Affleck au générique, c’est facile ?
Moins compliqué que je ne l’imaginais. On était peu nombreux, on tournait loin de Hollywood, on n’a pas mis la pression à l’équipe, on leur a juste demandé de ne pas poster de photos sur Instagram, de ne pas dire à leurs amis sur quoi ils travaillaient, et tout le monde a joué le jeu. On avait du coup l’impression d’être une bande de copains en train de tourner un film, pour s’amuser, pendant l’été. Pour Rooney et Casey, c’était rafraichissant. Aujourd’hui, quand tu es un acteur de ce niveau, tu as droit à une news dès qu’on te propose un film. Même pas quand tu l’acceptes, quand on te le propose. C’est délirant.
Le grand moment de A Ghost Story, celui dont tout le monde parle, c’est la scène dite “de la tarte” (un long plan-séquence où Rooney Mara dévore une tarte). C’est un tournant dans le film, comme si vous disiez aux spectateurs : c’est à prendre ou à laisser…
Oui, un test pour le public, c’est exactement ça. La scène était dans le script, telle quelle. J’avais besoin d’une séquence qui parle du passage du temps, de ses effets sur nous, de sa relativité. Mais aussi qui caractérise le personnage de Rooney, son rapport au deuil. Je savais qu’avec cette scène, je prenais le risque de déranger une partie des spectateurs, de les intimider, voire de leur donner envie de quitter la salle. Je savais que d’autres seraient mal à l’aise mais resteraient pour voir où tout ça allait les mener, et enfin qu’une troisième catégorie se laisserait aller dans son fauteuil, et trouverait ce moment contemplatif, émouvant. C’est un électrochoc, oui, mais fait avec une sincérité totale. Le film en avait besoin, le personnage aussi, et les thèmes que je voulais développer sont tous traités dans cette scène. Donc elle est nécessaire, justifiée. Je savais que ce serait “la scène dont tout le monde parle” mais ce n’était pas un coup de pub.
Palmarès du festival de Deauville : The Rider, A Ghost Story, Brooklyn Yiddish et Mary récompensés
Un critique du Guardian s’est emparé de A Ghost Story et de quelques autres films récents – It Comes At Night, The Witch, Under the Skin, It Follows – pour inventer le concept de “post-horreur”. Ça a du sens pour vous ? Vous avez l’impression de faire partie d’un mouvement ?
Un mouvement, non. Mais le concept me parle, oui. Les réalisateurs de It Comes At Night et The Witch sont des copains. Mais on fait des films chacun dans notre coin, sans se soucier de la résonnance culturelle qu’ils auront. On a à peu près le même âge, on adore l’horreur, on a vu beaucoup de films, lu beaucoup de livres, et on travaille tous en 2017, sous les mêmes latitudes. Donc, forcément, on régurgite ce qu’on a absorbé et il y a sans doute des influences communes à déceler dans nos œuvres. Mais il n’y aucune intention de notre part de créer une nouvelle catégorie de l’horreur. Ça, c’est le travail des critiques.
Et vous trouvez qu’ils ont bien fait leur travail, les critiques ?
Franchement, oui ! Pour moi, la critique est une forme d’art. J’adore ça. Regrouper les films, identifier des traits communs entre eux, c’est passionnant. Post-horreur, je trouve le terme super. On pourrait aussi dire flawed horror (horreur défectueuse). Ou anti-horreur.
A Ghost Story est l’un des favoris de la critique en 2017, mais vous, votre film préféré de l’année, c’est lequel ?
Personal Shopper, d’Olivier Assayas. Tout en haut de ma liste. Puis Emily Dickinson, a Quiet Passion, de Terence Davies. Et Mother !, que ma femme déteste et dont on a du coup beaucoup, beaucoup parlé à la maison. J’ai aussi aimé La Forme de l’eau et Good Time. Et j’espère voir le Claire Denis (Un beau soleil intérieur) rapidement.
C’est marrant que vous citiez Personal Shopper, ça pourrait être un bon exemple de film post-horreur…
Oui, absolument ! C’est un de mes rêves : organiser un double feature au New Beverly (le cinéma de Tarantino à Los Angeles) avec Personal Shopper et A Ghost Story.
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